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Frachet

24 février 2024

Missak Manouchian et L’affiche rouge

Le résistant arménien Missak Manouchian et son épouse Mélinée sont entrés au Panthéon, dans la soirée du mercredi 21 février 2024. La cérémonie se voulait aussi un hommage rendu aux autres membres du groupe Manouchian. Comme d’habitude, la France pour l’occasion s’est levée comme un seul homme devant l’hommage souligné, même l’extrême droite a tenu à être présente à la cérémonie.

                  

Tout au long de son allocution, le président Macron a repris une citation d’un poème d’Aragon mis en musique par Léo Ferré : «  Est-ce ainsi que les hommes vivent ? … et leur chagrin au loin les suivent. » La chanson "L’affiche rouge" qu’on a beaucoup entendue lors de cette cérémonie, est aussi extraite d’un poème d’Aragon que Léo Ferré a mis en musique. [1] [2]

L’affiche rouge : Derrière ces mots, c’est tout un pan de l’Histoire de France qui surgit, rappelant des heures sombres de cette histoire si mouvementée. Cette affiche, sur fond rouge pour bien montrer qu’il est question de « rouges », d’affreux communistes qui plus est juifs, étrangers polonais, arméniens… peut-être pire encore.
Une aubaine pour les nazis qui se serviront de ces Résistants pas du tout présentables pour déconsidérer la Résistance française. Que diable, une Résistance française se doit d’abord d’être faite par des Français ! Logique.

               
                                                  Missak (à gauche), Thomas, Maurice et les autres

Une affiche présente « L’armée du crime », placardée à quelque 15 000 exemplaires à partir du 15 février 1944 dans de nombreuses villes, dénonçant les sanguinaires attentats perpétrés par de vils étrangers.
« Des libérateurs » titre l’affiche, oui mais une « Libération par l’armée du crime » précise-t-elle sans ambiguïté. Une affiche illustrée de 10 visages hirsutes (sur les 23 condamnés), pas français du tout, avec des noms encore moins français. Décidément, aucun bon français dans cette Résistance.

              
             
Son buste à Marseille                     Mémorial de Valence


En tout cas, s’il y a des Français, précise le tract, ils sont manipulés par :
- des étrangers qui commandent,
- des chômeurs et des criminels qui exécutent
- des juifs qui les inspirent.
Voilà pour l’armée du crime vue par les nazis.

        
Au fronton du Panthéon                                     À l'intérieur du Panthéon


Parmi les 23 Résistants, on trouvait un tiers de résistants polonais et dix dont sept juifs sont sur le trombinoscope nazi, dont Missak Manouchian occupe la place centrale. Sans doute raison pour laquelle on donnera son nom au groupe. [3]

Le nom initial, « Groupe Manouchian-Boczov-Rayman » est dû à trois ouvriers communistes et internationalistes, l'Arménien Missak Manouchian, le juif polonais Marcel Rayman, responsable de l’équipe chargée des opérations importantes et le juif hongrois Joseph Boczov, chef du détachement des dérailleurs d'où étaient issus neuf des 23 résistants. Le groupe est  très jeune, il compte une moitié de Juifs, un tiers de Polonais, trois Français, deux Arméniens et des Italiens.

            
                                                     Missak et Mélimée

Le 25 février 1945, les communistes commémorent le premier anniversaire de leur exécution qui réunit quelque 10 000 personnes au cimetière d'Ivry-sur-Seine, ville d'où sont originaires quatre d'entre eux. Une grande banderole souhaite la « gloire aux héros immigrés du procès Manouchian-Boczov » et L’humanité souligne le « suprême hommage rendu par le peuple de Paris aux 23 héros du procès Manouchian-Boczov ».



Manouchian : sa dernière lettre

21 février 1944, Fresnes

Ma chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée.
 

Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. On va être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas, mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
 

Je m’étais engagé dans l’armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur ! à tous !
 

J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et [d’] avoir un enfant pour mon honneur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires. Je [les] lègue à toi et à ta sœur, et pour mes neveux.
 

Après la guerre, tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la Libération. Avec l’aide de mes amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs, si possible, à mes parents en Arménie. Je mourrai avec 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait [de] mal à personne et, si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine.
 

Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant au soleil et à la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal, sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et [à] ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien bien fort, ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur.
 

Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
 

Manouchian Michel

            
L'album de Léo Ferré                  Les deux cercueils au Panthéon


Notes et références
[1] Ces deux chansons, "L’Affiche rouge" et "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?" sont extraites de l’album "Ferré chante Aragon", Barclay 90066, 1976. Le poème d'Aragon est intitulé "Strophes pour se souvenir" et est paru dans son recueil "Le roman inachevé". Ferré dans "L'affiche rouge"
[2] En 1951, Paul
Éluard avait lui aussi écrit un poème en l'honneur de Manouchian et de son groupe des 23, intitulé "Légion" et paru dans son recueil "Hommages"
[3] Groupe Manouchian-Boczov-Rayman, dénomination utilisée par les Allemands lors du procès en 1944.

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<< Christian Broussas • L'Affiche rouge © CJB • 24/02/ 2024  >>
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21 février 2024

Genève, Musée de la Réforme

Le musée, la maison Mallet
Cet ensemble patricien construit en 1723 par le banquier français Gédéon Mallet, descendant d'une famille d'huguenots réfugiés à Genève après le massacre de la Saint-Barthélemy, se situe sur l'ancien cloître des chanoines de la cathédrale Saint-Pierre de Genève, là où fut adoptée la Réforme le 21 mai 1536.

       
Cour intérieure et Croix de Pentecôte - Bâtiment du musée

Le musée retrace l'histoire de la Réforme, non seulement d'un point de vue religieux mais aussi comme entité culturelle et sociale dont conséquences sont toujours d'actualité.
L'essentiel des collections est constitué de manuscrits, de gravures, de portraits, de caricatures et également de bibles et de livres anciens.

         
                             Exemples de bibles du XVIe siècle

L'histoire de la réforme
Unique au monde, le Musée de la Réforme (MIR) est la seule institution laïque consacrée à l'histoire de la Réforme et du protestantisme. L'ensemble des objets et des documents exposés, tableaux, ouvrages, gravures et dispositifs audiovisuels se répartissent en 12 salles qui permettent d'admirer par exemple deux tableaux de Luther par Cranach, une lettre personnelle de Calvin et un témoignage de Dietrich Bonhoeffer.

Si les audio-guides facilitent la visite, le MIR propose aussi une animation en réalité augmentée de 15 œuvres importantes du musée ainsi qu'une visite de l'exposition temporaire organisée, cette année une magnifique collection d'eaux-fortes dues à Rembrandt.

         
Le grand salon                                                          La salle Calvin


Les salles du Musée sont divisées par thème et par époque : La Bible, la Polémique, le Grand Salon, la Salle Barbier-Mueller (la Réformation [1] en France et les Guerres de religions), Calvin et Genève, le cabinet de musique, la Réforme aux XVIIe et XVIIIe siècle (le banquet de la prédestination), la Révocation de l'édit de Nantes ( le refuge et le désert) [2], la Réforme au XIXe siècle, le "train des bonnes œuvres", le Réveil [3] et la théologie moderne, la situation contemporaine.

                              
La salle d'entrée   Vue générale et détail                                               

Les thématiques présentées
Dans les grandes thématiques abordées se trouve en premier lieu la Bible et les pratiques du protestantisme, la question de l'iconoclasme (la proscription des images) et la portée de cette attitude illustrée par des caricatures, quelles soient catholiques ou protestantes, la « Genève de Calvin » et ses autographes et d'autres ouvrages moins importants. La peinture historique du XIXe siècle a également sa place avec quelques tableaux intéressants, en particulier un grand format intitulé "Calvin dans la cour du Collège" de Ferdinand Hodler et un portrait de Calvin dû à Albert Anker.

La musique, très prisée par la Réforme, est également présente dans une petite salle où l'on peut écouter des airs aussi différents que des psaumes huguenots, des chorals luthériens que des musiques plus récentes inspirées par la Réforme ou carrément des chansons contemporaines d'Aretha Franklin, de Johnny Cash ou le célèbre tube Jerusalema.

L'exposition temporaire
            
Le catalogue de l'exposition                       La vierge au chat 1654

Le musée présente cette année, en collaboration avec d'autres musées genevois, quelque 70 gravures de Rembrandt, le grand artiste peintre hollandais.

Il s'agit d'une collection exceptionnelle réunie sous l'égide de la conservatrice Bénédicte de Donker. qui est organisée selon une chronologie biblique, depuis Adam et Ève jusqu’aux Actes des Apôtres en passant par le Sacrifice d’Abraham, Joseph et la femme de Putiphar, le Bon Samaritain, la Résurrection de Lazare et la Crucifixion.

                              
Deux des gravures de Rembrandt             Jésus prêchant dit la petite tombe, vers 1657

La scénographie retenue est basée sur la technique du clair-obscur. Les gravures de petit format sont agrandies sur des moulures alors que des teintes de bleu et de brun dominent le clair-obscur. Dans chaque salle, un texte en gros caractères explique la situation socio-historique, appuyé par des citations bibliques qui éclairent cette présentation unique de chefs-d’œuvre gravés de Rembrandt.
Une presse inspirée d’un modèle du 15e siècle permet aux visiteurs d’imprimer eux-mêmes l'une des gravures de Rembrandt et de la récupérer à la fin du parcours.

                
Exemple d'une presse Gutenberg                Exemple de scénographie

Une histoire chronologique de la Réforme dans le musée
1- Réformation : débute en 1517 avec Martin Luther
2- Guerres de religion : 8 guerres en France entre 1562 et 1598
3- Icônes : destruction des images, polémiques et caricatures
4- Genève et Calvin : la ville comme laboratoire religieux et politique
5- En ces temps là : identité à travers 21 dates importantes
6- Expansion : du XVIIe au XXe siècle
7- Les 244 bibles : le Réformé est un traducteur --> à travers les bibles du musée
Le salon de musique
8- Marques du protestantisme et styles de vie
9- Engagements : périodes moderne et contemporaine
Cinq dispositifs : Penser/résister/partager, Discuter, Protester, Illustrer, Proclamer

Notes et références
[1] Terme utilisé autrefois pour parler de la Réforme du XVIe siècle, encore utilisé dans d'autres pays comme l'Angleterre ou l' est Allemagne.
[2] Le Refuge est le mouvement d'émigration des huguenots et leur accueil, surtout par les pays protestants européens. et le Désert, l'époque de la clandestinité pour les réformés, entre l'édit de Fontainebleau (1685) et l'édit dit « de tolérance » de 1787.
[3] Le Réveil : Mouvement visant à "réveiller" une foi endormie et à redynamiser les Églises.

Voir également
* L'interview de Bénédicte De Donker --

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<< Christian Broussas • Musée de la Réforme  © CJB  ° 21/02/2024  >>
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19 février 2024

Édouard Glissant, L'essayiste

Référence : Édouard Glissant, romancier prix Renaudot 1958 pour son roman La Lézarde, poète (poèmes complets, 1994), essayiste (Poétique I, Soleil de la conscience, Poétique II, L'intention poétique - Poétique de la relation) [1] et philosophe (Une nouvelle région du monde, "Esthétique I", 2006 -- Philosophie de la relation, 2009)

          
                                                                                   Avec Agnès Bourgois

Même s’il est relativement peu connu, Édouard Glissant (1928-2011) est sans doute le plus important écrivain et intellectuel antillais de sa génération. Il a manqué de peu le prix Nobel de littérature en 1992, attribué à un autre antillais Derek Alton Walcott. De Soleil de la conscience (1956) à l'Anthologie de la poésie du Tout-Monde (2010), il s'est illustré dans tous les domaines littéraires, que ce soit le roman, la poésie, le théâtre ou l’essai philosophique.

               

Sur le plan théorique en particulier, il a beaucoup influencé ses contemporains avec par exemple Le Discours antillais paru en 1981 et le concept de "antillanité", ainsi que les notions de "Tout-monde" et de "Relation".
Il repense également la notion de créolisation mais aussi les catégories de la métaphysique ainsi que les façons d'organiser un dialogue entre les cultures par rapport à la vision qui est la sienne.
À partir de son idée de créolisation, Glissant en appelle à un "Tout-Monde" prospectif où l'altérité ouvre des perspectives pour penser le futur. Ce concept si important dans la démarche de Glissant est l'expression la plus singulière de son expérience et de la langue créole.

         
     Le lycée Schoelcher où il a étudié

Fondateur de l'Institut du Tout-Monde à Paris en 2006 et dirigeant d’un centre consacré à la traite, à l'esclavage et à leurs abolitions, il a passé l'essentiel de sa carrière universitaire aux États-Unis, d'abord en Louisiane à Baton Rouge puis à New York.

              
Le groupe Franc Jeu, Glissant au fond avec la pipe

La Lézarde 
Référence : Édouard Glissant, La Lézarde, éditions le Seuil, prix Renaudot 1995263 pages, 1995
Dans une petite ville des Antilles, Lambrianne, un petit groupe de militants décide d'attenter à la vie du représentant de l'État. Dans ce clan, on retrouve les mêmes personnages que dans "Tout-monde" : Mathieu Béluse, Mycéa, Raphaël Targin (Thaël)...
Vient se greffer sur les activités belliqueuses et les idéaux des jeunes gens une histoire d'amour entre Mathieu et Mycéa. On retrouve ici une large part de l'auteur lui-même. Dans cette phrase, il nous donne une clé pour mieux saisir le ressort de son roman : 
« J'appelle Tout-monde notre univers tel qu'il change et perdure en échangeant et, en même temps, la "vision" que nous en avons. »

                  

Tout-Monde
Référence Édouard Glissant, Tout-Monde, éditions Gallimard, 624 pages, septembre 1995
Le Tout-Monde ou le poteau-mitan comme l'appelle aussi Glissant, c'est le monde qui nous entoure, évolue continuellement tout en fonctionnant selon les mêmes mécanismes. Il est constitué de ce qui vit et également du passé qui est aussi mémoire et structuration, des interactions qui se produisent dans le temps et l'espace.

          
                                                                       Glissant avec Régis Debray

On y rencontre de nombreux personnages dont les plus importants sont Mathieu Béluse, parleur et poète racontant le monde, Raphaël Targin, ex étudiant et soldat, voyageur et curieux de tout. Mais il y a bien d'autres histoires comme celle d'Anestor, tombé amoureux d'une Antillaise et d'une Africaine, fréquentant aussi les quartiers arabes de Paris ou ces femmes, Artémise Marie-Annie qui s'égaient sur les routes de l'île en chantant des airs qui n'appartiennent qu'à elles. On revient aux souvenirs de guerre avec Rigobert Massoul, ou Soussoul et ce pharmacien antillais qui se souvient d'un certain général allemand qui lui sauva la vie.
C'est aussi l'histoire d'une île prise entre esclavage et canne à sucre, qui finit par s'ouvrir au monde alors que les hommes restent des hommes.

                          
  
 Poétique IV : Tout-Monde

Notes et références
[1] Son traité de la Poétique est constitué de 5 ouvrages : Poétique I, Soleil de la conscience -- Poétique II, L'intention poétique -- Poétique III, Poétique de la relation, 1990 -- Poétique IV, Traité du Tout-Monde, 1997 -- Poétique V, La Cohée du Lamentin, 2005
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<< Christian Broussas • Edouard Glissant © CJB • 19/02/ 2024  >>
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18 février 2024

Dany Laferrière, L'énigme du retour

Référence : Dany Laferrière, "L'énigme du retour", éditions Grasset, 2009, prix Médicis 2009, édition de poche, janvier 2011, 288 pages

            

Commentaire souvent flatteur pour ce roman de Dany Laferrière qui lui a valu de recevoir le prix Médicis en 2009, comme celui-ci : « Récit d'un retour au pays après la mort du père, Dany Laferrière sait qu'il doit "réapprendre ce qu'il sait déjà mais dont il a dû se défaire". Dans une langue somptueuse, poétique et sensuelle, il nous invite au pays des sensations vraies. »

                                    
Je suis un écrivain japonais   Journal d'un écrivain en pyjama    Tout bouge autour de moi

L'auteur lui-même est assez atypique puisque c'est un francophone né sur l'île d'Haïti, émigré au Canada à Montréal pendant plusieurs années pour cause de dictature des Duvalier, et finira par s'y établir, plusieurs de ses livres se déroulent d'ailleurs dans ce pays, dont le premier paru en 1985 "Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer", qui connut un gros succès mondial.

          

La nouvelle qu'il reçoit l'anéantit : son père est mort. Il décide alors de retourner en Haïti dans son pays natal, revenir de cet exil que son père avait déjà connu avant lui. C'est tout son passé qui lui revient, ses origines, sa famille... Un retour qui lui met du baume au cœur avec ces retrouvailles, les rencontres avec des artistes, de jeunes femmes aussi mais lui permet dans le même temps de découvrir la misère, la faim et la violence.

                   
L'art presque perdu de ne rien faire

Après 30 ans d’exil, il redécouvre son pays natal qu’il ne connaît plus guère. Un pays où tout est différent, où il se sent comme étranger, ni vraiment d'ici, ni vraiment d'ailleurs, mais qu’il a tendance à idéaliser malgré une misère et une violence quasi endémiques. Un mystère comme ce père qu’il n’a jamais revu et qui, comme lui, a été obligé de s'exiler.

Il constate aussi cette évidence, que le pays est miné par la dictature et la corruption, dont la population est dans une situation catastrophique. Il ressent le contraste saisissant entre la chaleur d’Haïti et sa misère  et le froid de Montréal et son opulence.
Haïti était le pays de la mémoire sensorielle, couleur locale faite d'odeurs, de bruits... Après ce retour et cette quête du passé, Dany Laferrière reviendra plusieurs fois au pays, comme s'il pouvait maintenant se le permettre. Il y reviendra dans un moment tragique, celui du terrible tremblement de terre qui marquera durablement l'île et qu'il relatera dans Tout Bouge autour de Moi.

                      
Pays sans chapeau

Côté style, le roman se présente sous forme de petits poèmes qui rythment chaque chapitre, comme dans cet exemple :
Nous avons deux vies.
Une qui est à nous.
La seconde qui appartient
à ceux qui nous connaissent
depuis l'enfance.

La langue de la mère.
Le pays du père
Le regard hébété du fils
qui découvre en un jour
un tel héritage.

L'écriture et le dessin

Dany Laferrière a aussi initié un genre littéraire nouveau qui allie le tracé du dessin à la musique des mots. C'est dit-il, le choc de la mort de sa mère qui le conduit au dessin comme un dérivatif, un exutoire aussi et passe peu à peu au roman dessiné, avec « cette main qu’il ne lâchera plus. » Ce sera en 2018 Autoportrait de Paris avec chat, roman graphique de 320 planches dessinées, hommage aux artistes réfugiés à Paris. L'année suivante, ce sera Vers d'autres rives, constitué de 112 planches dessinées, hommage aux artistes haïtiens.

                            
Sa statue à Montréal                                                 L'exil vaut le voyage

Dans L'exil vaut le voyage paru en 2020, il nous parle de départs qui ne sont pas forcément synonymes d'arrachement si on les accepte le cœur ouvert. Ils sont l'occasion de rencontres enrichissantes qui ouvrent de nouveaux horizons. Tout n'est donc pas négatif dans l'exil.

    Avec Maryse Condé

* Sitothèque de quelques œuvres
- Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer ? (1999) - L'odeur du café (2016)  -L'enfant qui regarde (2022) -- Petit traité du racisme en Amérique (2023) -
* Présentation --

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<< Christian Broussas • Dany Laferrière  © CJB  ° 17/02/2024  >>
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17 février 2024

Claudie Hunzinger Un chien à ma table

Référence : Claudie Hunzinger, "Un chien à ma table", éditions Grasset, prix Femina 2022, édition de poche J'ai lu, 288 pages, 2023

            
Claudie Hunzinger & son mari


« Un livre écrit à 82 ans, un livre plein de dynamisme et de vitalité. »

Cette ancienne citadine qui chante la nature, est devenue (aussi) éleveuse de brebis dans la campagne vosgienne à quelque 750 mètres d’altitude.
Cette alsacienne née en 1 940 a deux casquettes, étant à la fois plasticienne et écrivaine.

La plasticienne s'est fait un nom et a beaucoup exposé : de Grünewald en 2008, "Un héritage de couleurs", jusqu'au Centre d’Art contemporain du Luxembourg belge en 2018 ou la Galerie Chantal Bamberger, Strasbourg, "Icônes" en 2019.

           
      Devant sa maison de Bambois avec sa fille Chloé & la chienne Babou

En 1983, lors de l’exposition Images et création, elle présente des rouleaux d’écritures calcinées face à de grands tirages en noir et blanc et deux ans plus tard, elle débute la série consacrée aux Bibliothèques en cendre, et participe à plusieurs expositions (Paris, Lausanne, Londres). Cette série donne une vision assez pessimiste de l’Humanisme. Mais pourtant, écrit Anne Moeglin-Delcroix son approche « illustre en même temps que la violence faite aux livres, le souci de leur conservation, puisqu’ils témoignent autant de la destruction par le feu que du respect des fragments épargnés. »

            
« Je me suis demandé... à la fin de cette journée de mon retour qui avait coïncidé avec celui de Yes, ce que j'aimais plus que tout. J'ai compté.
La liberté. »

Après Les Grands cerfs, prix Décembre 2019, la romancière nous propose cette fois Un chien à ma table, histoire de l'irruption d'un animal blessé dans un vieux couple vivant à l'écart dans une forêt qui réalise une osmose entre la révolte féminine et le saccage de la Nature, dans un style très poétique.

Un livre sur la vieillesse, celle du corps, pas tant celle de l’esprit, d'un vieux couple Sophie et Grieg pris dans leur routine, vivant dans leur ferme retirée de Les bois-bannis. Un livre sur la nature et sa destruction prévisible, un livre sur les liens profonds avec le monde animal dont Yes, ce chien recueilli, représente le symbole.
Ils sont pourtant si différents, Sophie adore les longues marches dans la forêt, Grieg, étranger au monde, dort le jour et lit la nuit, s'adonnant à la littérature. L'arrivée de Yes servira de révélateur d'un amour qui avait succombé à la routine. Sophie est à la fois écologiste, défendant une Nature de plus en plus menacée, et féministe défendant la cause des femmes.
Comme l'a écrit un critique : « Je suis comme un chien à sa table, j'attends qu'elle me jette ses mots en pâture pour m'en délecter, m'en réconforter, m'alerter aussi, jamais rassasié. »


                   

Joie et perte mêlées
« Il y a à la fois joie et chagrin dans ma façon d’être au monde. »

Dans une interview, elle précise qu'elle a voulu écrire un livre sur l’état du monde, « où il n’est pas uniquement question de la vieillesse d’un couple, mais également de la vieillesse du monde, et de la perte qui, de jour en jour, nous entoure plus profondément. » Ces pertes qu'elle évoque, c'est celles de la biodiversité, du vivant dans notre environnement, des mondes qui l'entourent et des langages autres que le mien. Mais d'un autre côté, ces pertes ne sont pas synonymes de tristesse, « car je suis inépuisablement émerveillée par le monde et par ce qu’il en reste, et en même temps extrêmement chagrinée de le voir disparaître. »
Rappelant la dernière phrase de son livre "Les larmes dans les yeux", elle ajoute qu'elle concerne « à la fois l’histoire de la petite chienne, mais aussi l’état du monde. »

       

Les relations humains et non-humains

« Une nouvelle équipée. Avec mon corps. Avec ce qui reste de mon corps. Avec ce qui reste de la forêt. Mon corps et la forêt. Nos corps usés, troués. Entre leurs accrocs, leurs ellipses, il reste de petits cosmos. »

Le titre choisi "Un chien à ma table" rappelle "Un ange à ma table", ange inspirateur de l'écrivaine. Si un mur séparant humains et non-humains existe vraiment, ce serait celui du langage, cette tour de Babel qui nous couperait des autres.

Quand l’autrice écrit, elle s’installe à la table, et tient beaucoup à ce qu’elle écrit. Beaucoup de personnes disent qu’il y a un mur, qui séparerait les humains des non-humains : ce mur est celui du langage, ce langage que nous avons acquis et qui nous placerait autrement dans le monde. Alors dit-elle, « j’ai voulu que cette petite chienne très humanisée soit la gardienne du langage et des humains, qu’elle brise le mur entre les humains et les non-humains, et que l’écrivaine et elle soit amie, tout simplement. »


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16 février 2024

Ahmet Altan, Madame Hayat

Référence : Ahmet Altan, Madame Hayat, éditions Actes Sud, traduction Julien Lapeyre de Cabanes, 272 pages, septembre 2021
Prix André Malraux 2019

           


« Une œuvre politique, un hymne à l'amour et une ode à la littérature. »

Grand écrivain turc, Ahmet Altan a écrit des romans tels que « Comme une blessure de sabre » en 2000 ou « L'Amour au temps des révoltes » en 2008 jusqu'à son dernier roman Les Dés paru en 2023. Il a été emprisonné pour avoir été suspecté de participation au putsch manqué du 15 juillet 2016, pendant quatre ans à Istanbul. Ce roman a été écrit pendant son incarcération  comme « Je ne reverrai plus le monde » paru en 2019. D'où ce commentaire du journal Libération : « Madame Ayat est autant un grand roman d’amour qu’une fable sur la valeur de la liberté dans un monde où l’on enferme les poètes. »

                       

Madame Hayat, une cougar, peu-on penser en découvrant sa liaison avec le jeune Fazil qui a rejoint la grande ville pour poursuivre ses études de lettres comme boursier, vit dans une pension cosmopolite comme Gülsüm le "trans". Pour compléter ses revenus, il se produit comme figurant à la télé où il a rencontré cette Madame Hayat, une femme voluptueuse mais qui pourrait être sa mère.  Peu de temps après, il rencontre une la jeune fille nommée Sila qui lui plaît également beaucoup.
Même s’ils ont des caractères fort différents, ils aspirent à vivre leur histoire dans une grande liberté, dans un pays fort peu tolérant en la matière.

« Mon corps était en prison, mais pas mon âme. »

Les deux femmes sont vraiment l’opposé l’une de l’autre, un grand attrait sensuel de la part de la quinquagénaire Mme Hayat [1] et la cérébrale jeune étudiante en lettres Sila. Mais en même temps, elles représentent les deux visages du progressisme actuel, Sila qui voudrait fuir et Madame Hayat qui veut rester optimiste même si elle connaît la viduité de l'existence. « J'en sais bien plus long, dit-elle, que tu n'imagines sur la vie et ses réalités, comme tu dis. Je sais ce que c'est que la pauvreté, la mort, le chagrin, le désespoir… »

     
Je ne reverrai pas le monde

« On n'apprend pas grand chose sur l'existence, dans les familles heureuses, je le sais à présent, c'est le malheur qui nous enseigne la vie. » p 31

Le problème est de savoir comment vivre avec la dictature turque et sa féroce répression. Chacun a sa réponse comme Fazil qui se réfugie dans les livres et en fait son espace de liberté : « La littérature était plus réelle que la vie. » (p 51) Quand le corps est soumis à l’arbitraire, reste la liberté de l’esprit et la possibilité de choix qui reste à Fazil.



Lui a la littérature dans la peau, elle a l'intelligence de la vie, véritable allégorie de la liberté : « Madame Hayat était libre. Sans compromis ni révolte. Libre seulement par désintérêt, par quiétude, et à chacun de nos frôlements, sa liberté devenait la mienne. » Et si ce n'était pas une beauté, elle lui plaisait, se rappelant cette phrase de Marcel Proust : « Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination. »

L’approche de l’auteur permet de suivre la démarche de Madame Hayat  juste en décrivant ses gestes et sa façon de se comporter. Il sait aussi peupler son roman de personnages secondaires intéressants comme "Le poète" résistant, Gülsüm le travesti amateur de foot, Madame Nermim, la prof de lettres qui va l'aider à réfléchir sur sa condition, Monsieur Kaan prof d'histoire littéraire qui disait : « La littérature est un télescope braqué sur les immensités de l'âme humaine. »



Le thème de la liberté de la femme
Altan le traite à travers deux exemples qu'il oppose : Daisy Miller d'Henry JamesDaisy gagne sa liberté à force de défis tandis que les femmes de l'Éducation sentimentale de Flaubert, manipulent et contournent les règles sociales pour se ménager une marge de liberté. 
La liberté est pour lui (comme pour Mme Hayat) la faculté de vivre l'instant présent comme s'il devait se prolonger indéfiniment, en se délestant du poids du passé et de l'avenir. « Ce noyau du temps qui passe s'affranchissait du passé comme de l'avenir pour devenir la mesure infinie de l'existence.  » (p 69)

 

« Pourquoi les cafards changent soudain de direction au milieu de leur course ? » p 167

Hasard et cliché

* Quid du relatif du "cliché banal" d’un mort que remplace un nouveau-né p 137 --> Réalité basée sur dualité "cliché-hasard" à quid de l’œuvre d’art dans cette réalité.
-- > « La métamorphose de la copulation en l’amour était un
cliché (une évidence), le fait que je l’ai découvert avec Mme Hayat était un hasard… » p 217
--> L'ensemble des réalités  qui déchirent l'homme tient dans une somme de
clichés. Tous les hasards qui nous affectent occultent le fait que nos destins ne sont qu'une suite de clichés. P 265
Approfondir cette réalité, c'est donner un sens à cette quête existentielle.

* La peur de l’avenir, sentiment commun, est étranger à Mme Hayat p 145
   --> "absit omen" pour éloigner le mauvais sort p 144
- Le symbole des Talons hauts (Omer Seyfettin) p 158 est un symbole d’ordre (p 167)
 - Le changement de comportement des électrons sous des excitations différentes
Antithèse : « la profondeur du lien que cette légèreté peut créer… p 169-70
- Incommunicabilité : « aucun atome ne peut en toucher un autre. Mme Hayat (p 212) [Méthode Hayat : phrase rébus+histoire explicative+association d’idées]


Notes et références
[1] C'est une femme aux cheveux feu et or, à la robe couleur de miel, au parfum de lys, au rire ravageur et aux rondeurs exhibées. Elle est aussi attachante et généreuse et initie le jeune homme aux plaisirs, influant sur sa conception de la vie.

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13 février 2024

Boualem Sansal, Vivre : le compte à rebours

Référence : Boualem Sansal, Vivre : le compte à rebours, éditions Gallimard, 234 pages, 2024

Boualem Sansal à Francfort en 2011

"On retrouve dans ce roman la verve caustique et gouailleuse, marque de fabrique d'un écrivain singulier à l'audience internationale."

Un nouveau roman de Boualem Sansal, voilà qui est à priori fort intéressant. J'avais déjà écrit des fiches de présentation de ses deux derniers ouvrages, Abraham ou la cinquième alliance et Le train d'Erlingen. [1]


Boualem Sansal, c'est toujours assez touffus, on s'y perd un peu parfois dans ses histoires mais c'est d'une acuité et d'une richesse particulièrement fine qui met le doigt là où ça fait mal. Et en général le régime algérien n'apprécie pas vraiment.

Il faut dire que, outre ses prises de position, son refus de condamner Israël [2], il a publié plusieurs ouvrages très critiques sur l'action du pouvoir algérien, Dis-moi le paradis, (2003) [3], visant le président Boumédienne, l'arabisation forcée [4] et la corruption délétère, Harraga la vie de deux femmes émigrées qui fuient la misère malgré l'argent (détourné) du pétrole qui coule à flots,
Le Village de l'Allemand (2008), histoire d'un SS nommé Hans Schiller, qui fuit en Égypte et participe ensuite à la libération de l'Algérie et où l'auteur établit un parallèle entre islamisme et nazisme. Dans 2084 : la fin du monde, c'est la religion qui est visée, une religion qui « fait peut-être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité. »

           
Romans 1999-2011

« Je fais de la littérature, pas la guerre », dit-il, ajoutant : « La littérature n'est pas juive, arabe ou américaine, elle raconte des histoires qui s'adressent à tout le monde. »

Dans ce roman, on est carrément confrontés à la fin du monde, et il faut faire vite pour sélectionner des "élus" qui iront chercher un nouvel éden quelque part dans l'univers.
Bon, voilà où on en est. Seulement, il reste à résoudre une petite difficulté : comment choisir les heureux élus qui iront créer une nouvelle colonie humaine en évitant de faire les mêmes conneries que sur la terre ? 

                
Le train d'Erlingen             Rue Darwin            2084 La fin du monde

Question épineuse : sur quels critères sélectionner car des petits malins peu ragoutants pourraient bien se glisser parmi les plus vertueux sélectionnés.

Quoi qu’il en soit,  la disparition de la Terre étant prévue dans 780 jours, c’est Paolo un prof de maths retenu dans les Appelés, qui doit choisir les humains dignes de rejoindre le vaisseau spatial.
Dans ce roman, si Les Appelés doivent émigrer sur une  autre planète, dans son roman précédent Abraham, Abram sa réincarnation, doit conduire la tribu vers la Terre promise.
Il découvre qu’un certain Jason est aussi dans la confidence, d’autres peut-être… Ces différents « élus » vont donc devoir déterminer quelle moitié de l’humanité sera sauvée. Une arche de Noé revisitée…

                   
Abraham                             Lettre d'amitié...          Gouverner au nom d'Allah

Notes et références
[1] A propos de ce livre, il a écrit : "Le fait que ça renvoie à l’Allemagne par le nom Erlingen et à la Shoah par le train, posait quelque part la question de Dieu et de sa responsabilité. Ça résume bien le livre." Il y critique vertement le laxisme européen envers l'islamisme : « Oui, l'Europe a peur de l'islamisme, elle est prête à tout lui céder... »
[2] En mai 2012, il participe au Festival international des écrivains à Jérusalem suscitant de nombreuses critiques et en octobre, il rencontre l'écrivain israélien David Grossman sur le thème de la paix.
[3] Dans ce roman, il fustige la bêtise sous toutes ses formes : « Mais toujours, inchangée dans la guerre ou la paix de l'entre-deux, marchant en tête, discourant à perte de vue, pontifiante et grossière : la bêtise souveraine. » Il écrira aussi dans Lettre d'amitié : « Pourquoi les humains sont-ils si bêtes ? »
[4] « En Algérie, écrit-il, nous sommes analphabètes trilingues : nous avons perdu le français à cause de l'arabisation forcée, l'arabe est peu ou mal enseigné, nous avons perdu le kabyle et nos langues ancestrales. »

Voir aussi
Boualem Sansal, Le train d'Erlingen -- Abraham ou la cinquième alliance --
Les écrivains algériens et l'islam --

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7 février 2024

L'univers de Alain Damasio

Écrivain atypique s'il en est, Alain Damasio né à Lyon en 1969, se classe dans le genre science-fiction et fantasy. Ses romans sont basés sur ce qu'on appelle des dystopies politiques, romans engagés qui mettent en scène des personnages sous l'influence de sociétés hyper technques et hyper libérales qui fonctionnent sous couvert de systèmes démocratiques. On peut dire que ses œuvres sont des récits d’anticipation, imaginant des mondes futuristes et fantastiques.

« Créer une pluralité d’îlots, d’archipels, est la seule manière de retourner le capitalisme. » A. Damasio

         
Alain Damasio en 2019

Il s'est fait connaître par son ouvrage La Horde du Contrevent [1] qui remporte le Grand prix de l'Imaginaire en 2006. Deux ans plus tard, il remporte le prix dans la carégorie "Nouvelle francophone" avec sa nouvelle Serf-Made-Man ? ou la créativité discutable de Nolan Peskine extraite de son recueil Au bal des actifs. Demain le travail.
Ce romancier d'univers hyper urbanisés vit dans des endroits plutôt retirés, d'abord dans le Vercors puis à Nonza, en Corse.

« En France, tout a été construit autour d'une infantilisation maximale des citoyens. »

     
Interview du média Blast           Avec Esther Szac, graphiste

Outre La Horde du Contrevent, le romancier a aussi écrit un roman d'anticipation, La Zone du Dehors , sur la notion de contrôle croisé dans les sociétés démocratiques, inspiré des idées des philosophes Michel Foucault et Gilles Deleuze. Puis il écrit en 2009 un essai autant politique que poétique intitulé La rage du sage pour le groupe Silver et en 2021 un petit roman pour la jeunesse Scarlett et Novak sur l'impact sur la dépendance des gens aux nouvelles technologies.

           
Entrer dans la couleur                          Créateur de l'école du vivant

En 2019, il publie un roman Les Furtifs où les réseaux sociaux servent de vecteur pour diffuser un système de contrôle de la société. Il pose la question de savoir comment v
ivre dans des "villes privatisées", quand l'attention, la concentration sont contrôlées et excitées constamment et les corps toujours sous contrôle. Le roman qui se situe en 2040 voudrait nous faire sortir de nos « techno-cocons », à passer à des nouvelles pratiques de vivre ensemble et de résister pour être maître de notre destinée.

            

Écrivain atypique
Ce qui fait la particularité d'Alain Damasio, c'est d'abord son style et plus largement la construction de ses ouvrages. Ils utilisant assez souvent de néologismes et d'expressions spécifiques, créant ou détournant des mots comme "volte" qui renvoie à "révolte" pour exprimer le fait de lutter contre une société autoritaire en proposant des modes de vie alternatifs [2] ; « cosmopolitesse » (respecter d'autres formes de vie ; « furvent », « airpailleur » (dans La Horde de Contrevent), « périféérie », « radicolo » (dans Les Furtifs).

                

Écriture et musique
Il aime par-dessus tout lier univers littéraire et univers musical, incluant par exemple dans ses romans un support musical dans ses albums. [3] jouant sur la musicalité de l'écriture et utilisant les possibilités du son.
Il s'est aussi fortement investi dans des productions sonores comme dans Les Chrones basé sur des extraits de La Horde du Contrevent, La Sansouïre, une balade sonore sur la plage de Port-St-Louis du Rhône, Phonophore, univers sonore tiré de son roman Les Furtifs en 2014, Fragments hackés d'un futur qui résiste, un scénario réalisé par le studio d'arts sonores Tarabust & Phaune radio (Grand prix de la fiction radio en 2015), [4] Mare perchée, balade sonore parue la même année.

                 

Plus récemment, en 2019 pour la sortie des Furtifs, il crée une bande sonore intitulée Entrer dans la couleur, avec le musicien Yan Péchin avec qui il donne toute une série de concerts-lectures puis en 2021, toujours pour Les Furtifs, il écrit un slam orchesré par Laurent Pernice.

A propos de La Horde du Contrevent (2004)
Avec ce second roman, Alain Damasion signe un livre-univers fondé sur le vent, dont il dit :
« L'idée première m'est venue en lisant une nouvelle de Bradbury intitulée "La pluie". Je voulais construire un univers entier à partir d'un seul élément, d'une seule force primordiale qui irriguerait la totalité du livre et déciderait aussi bien de l'architecture que de la technologie, du mode de vie, des philosophies et des croyances - mais qui déciderait aussi du style, du rythme, du souffle épique, qui traverserait toute l'épaisseur strictement littéraire du roman et c'est ça qui m'a poussé à adopter le vent. »

                   

Notes et références
[1] On le considère comme l'un des meilleurs romans de la science fiction française , vendu à quelque 400.000 exemplaires
[2] C'est également le nom donné à sa maison d’édition
[3] Ce qui n'est plus le cas pour les éditions parues en livre de poche
[4] Depuis 2013, il écrit et chante dans plusieurs jingles de Phaune radio

Voir également
* Les furtifs, Interview --


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3 février 2024

La Chandeleur

« À la Chandeleur, l'hiver se meurt ou prend vigueur. »

Fête ancienne de l'empire romain, la Chandeleur ou fête des chandelles est une fête chrétienne commémorant  la Présentation de Jésus au Temple, symbole de la
« lumière qui se révèle aux nations ». Son nom provient du latin "festa candelarum" ou fête des chandelles.

     
Présentation au Temple  van Blockland           Identification Chandeleur-Marie

La Présentation de Jésus au Temple est un événement de la vie de Jésus-Christ relaté dans l'Évangile selon Luc. Il y est dit que « Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur. » C'est en vertu de cette prescription que Joseph et Marie présentent l'enfant Jésus au temple de Jérusalem. Le fête chrétienne qui y correspond est célébrée quarante jours après Noël, autrement dit le 2 février de chaque année dans le calendrier grégorien et représente un thème important de l'iconographie chrétienne.

Chez les Romains, on fêtait les Lupercales vers le 15 février, en l'honneur de Lupercus, dieu de la fécondité et des troupeaux. Les Lupercales ont été identifiées à la Chandeleur, surtout par le cardinal Cesare Baronio au XVIe siècle à partir de leur commune référence à la pureté. Mais c'est le pape Gélase Ie qui en 494 a relié chandelles et Chandeleur et organisé des processions aux flambeaux le 2 février. Il est donc très certainement à l'origine de l'idée qu'on pouvait remplacer la fête païenne par la fête de la Présentation même si le déroulement a évolué au cours du 7ème siècle.

                
Présentation Jésus au Temple par Holbein et Andrea Mantegna

Dans les églises, on prit l'habitude de remplacer les torches par des chandelles bénites dont on pense que la lueur éloigne le Mal et signifie aussi que  le Christ est la Lumière du monde. Les cierge placé dans le logis est censé protéger la maisonnée. Plus tard en 1372, on l'associera à la Purification (les relevailles) de la Vierge Marie.

                    
Présentation au Temple par Fra Angelico et émail byzantin XIIe

Les crêpes, de par leur forme ronde et leur couleur dorée seraient le symbole du Soleil revenu après la longue nuit hivernale . Voilà pourquoi on fait des crêpes à la Chandeleur, date où débutaient les semailles d’hiver. On utilisait la farine qui restait pour confectionner des crêpes, symbole de prospérité.

    Les crèpes Pieter Aertsen XVIe

Voir également
* Fêtes et commémo --

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2 février 2024

JMG Le Clézio, Identité nomade

Référence : JMG Le Clézio, Identité nomade, éditions Robert Laffont, janvier 1924

          
« Je ne voyage pas pour écrire ce que j'écris, mais j'écris pour voyager.
»


Cette fois, c'est un essai autobiographique que JMG Le Clézio nous propose, peut-être pour compléter la petite musique qu'il nous avait fait entendre avec sa "Chanson bretonne". À 84 ans, il a peut-être estimé qu'il était temps pour lui de retracer son parcours d'écrivain et ce que signifie "écrire". Ce titre illustre et prolonge son intérêt pour le concept d'identité et sa difficulté pour un homme tel que lui, aux multiples racines, de s'y positionner.

  Le Clézio le 6 janvier 2024 à Nice
« Ne renoncer à aucune part de mon identité. »

Rappelons à cet égard que son père était mauricien (de nationalité britannique), issu d'une famille d'origine bretonne émigrée à l'île Maurice. Lui est né à Nice au début de la dernière guerre mondiale et sera durablement impacté par la guerre, le bombardement de la ville et leur fuite dans l'arrière pays. [1] Ensuite, ce sera l'Afrique, le Nigéria pour aller y rejoindre son père.

Ainsi, il quitte un pays bombardé par l’aviation alliée pour le Nigéria où l’on peut courir pieds nus dans la forêt, découvrir la vie, les gens, les animaux, « une vraie liberté. » Des gosses de son âge qui « possédaient très peu de jeux [avec] des activités en général liées à l’utilité de la vie. »

Puis ce sera le Maroc et la rencontre avec sa future femme, originaire du Sahara occidental. Ils retraceront leur aventure dans un livre-témoignage "Gens des nuages".  Dans ce parcours, quelques scènes qui l’ont choqué : par exemple, au Maroc début des années 1950, il est témoin d'un geste raciste d’un colon sur un pauvre paysan ou au Nigeria, ces hommes enchaînés qui vont construire la piscine du District Officer. [2]

Tout cela participe à  la formation de son identité, de ses différentes expériences, ce qui lui fera dire : « Je ne sais pas qui je suis. Je n'ai pas eu à me poser la question de l'identité parce que dès le départ, j'étais double ».

Dans une interview, Le Clézio affirme que ce problème de l'identité, si important en France, est surtout un faux problème puisque la France est un pays composite façonné au fil des années, fait d'identités diverses. Il ne peut donc admettre que l'identité soit univoque. Il nous parle aussi de sa vision de la littérature, confortée par son nomadisme.

Le Clézio sait que l'art et plus particulièrement la littérature ne changera pas la société, ne serait-ce que parce qu'elle
« n’a pas su arrêter la traite des esclaves ni les crimes de la colonisation, […] empêcher les guerres », voire éradiquer les injustices et la haine, défendre la Nature. Un objectif moins ambitieux serait qu'elle incarne l'espoir d'un monde meilleur à travers « les rêves d’enfance, l’amour, le goût de la beauté. » En tout cas, il restera toujours à la littérature la dimension du témoignage qui permet d'avoir une approche et un regard critique sur la société.

 Notes et références
[1] Voir mon fichier intitulé "L'enfant et la guerre" -
[2] Voir mon article intitulé "Le Clézio, voyageur et citoyen du monde" -

Voir aussi
* Le nomade immobile --

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27 janvier 2024

Romain Rolland en Suisse

Romain Rolland le pacifiste

                
R. Rolland & la Suisse                     Romain Rolland et Gandhi [1]

Le Bourguignon Romain Rolland (1866-1944) était un amoureux de la Suisse. Il y est venu de nombreuses fois et s'y est même installé à partir de 1914 pour cause de guerre, séjour qu'il prolongea jusqu'en 1938. À partir de 1882, ses parents y passèrent très souvent leurs vacances estivales, profitant de l'air des montagnes qui ne pouvait qu'être bénéfique au jeune Romain à la santé délicate.

       
Villeneuve, le village et la Mairie (ancienne chapelle)


Les années 1880 du côté du Léman
Document utilisé pour la rédaction de l’article Été 1882, il a 16 ans, c'est son premier séjour en Suisse, il découvre le lac Léman et la montagne. 
« Maisons, montagnes, lacs, tout est un peu pour moi comme des personnes vivantes, tout m’inspire des sympathies et des antipathies humaines ; une montagne est le profil d’un visage, un lac est un regard, une maison la forme d’un esprit, » écrit-il à son amie Sofia Gerrieri. [2]
L'année suivante, le 19 août, il est à Villeneuve à l'hôtel du port, au bord du Léman, un peu au sud du château de Chillon et
espère y apercevoir Victor Hugo, qu'il admire, descendu au Grand hôtel Byron. Au bout de plusieurs heures, il finira par l'apercevoir... de loin.

Document utilisé pour la rédaction de l’article Été 1888 : il a 22 ans et passe deux mois à Aigle dans les Alpes vaudoises, au sud de Villeneuve où il perfectionne sa technique du piano, interprète Mozart, Beethoven et Chopin mais il sait déjà qu'il ne fera jamais une carrière de pianiste.

            
                La ville d'Aigle   et  le centre ville et le château

Séjours dans Les Grisons 1901 & 1903
Document utilisé pour la rédaction de l’article 1901 : Premier séjour à Saint-Moritz. Il cumule les problèmes : divorce d'avec Clotilde Bréal, ses pièces historiques accueillies fraîchement. Il veut tourner la page, loge à l'hôtel Wettstein, se consacre aux balades en montagne, au canotage sur le lac de Sils, fréquente le Badrutt's palace.  Et surtout, il y rejoint Sofia Guerrieri, son béguin rencontré à Rome 12 ans plus tôt au palais Farnèse. Mais la passion juvénile est loin et va se transformer en une profonde amitié. [2]

    

Saint-Moritz                                                   Lac de Sils vers Olten

Document utilisé pour la rédaction de l’article 1903 : Second séjour à Froburg-Olten.
Ce séjour est marqué d'une pierre blanche : le 17 juillet, il commence à écrire "Jean-Christophe", 10 ans de travail, 10 tomes, quelque 1600 pages. Un immense succès qui le propulsera au zénith des lettres européennes... et au prix Nobel en 1915. [3]

          
Olten                                                         Sierre, la mairie & sa place

Années de guerre et années "Villeneuve", 1914-1938
Il est de retour en Suisse et s'installe au park hôtel Mooser à Vevey pour un nouveau séjour estival à l'été 1914 quand la guerre le surprend. [9]
C'est ainsi en Suisse que cette grande figure du pacifisme publia en 1914 le manifeste "Au-dessus de la mêlée" dans le Journal de Genève, quitte à passer pour "traître à la patrie" et effectivement, il va souffrir d'un ostracisme dû à son pacifisme [4] et à sa proximité avec l'URSS après la guerre. Pendant toute sa vie, il n’a cessé de dénoncer la guerre et ses méfaits.

    
Villeneuve et sa plage                                    Villeneuve, rives du Léman

Pour le moment, il participe activement au CICR [5] et va travailler pour "L'Agence internationale des prisonniers de guerre" pendant toute la durée du conflit. Il est de nouveau amoureux d'une américaine de quelque 30 ans sa cadette, Thalie-Helena van Brugh de Kay. Ensemble ils font de longues balades, jusqu'à Zermatt par exemple mais "la dame au chapeau blanc" comme il l'appelait parfois, finira par rejoindre les États-Unis pour cause de guerre.

     
Genève, Musée Rath                                          Vue générale de Thoune

Pour continuer ses actions humanitaires, il s'installe à Genève à l'hôtel Beauséjour jusqu'en juillet 1915, aidant la Croix-rouge installée dans des locaux du musée Rath. Mais, épuisé, il part se reposer à Thoune, à l'hôtel Bellevue, dans le canton de Berne, près d'Interlaken et rend visite à deux grands écrivains qui comme lui  œuvrent pour la paix, Hermann Hesse à Berne et Carl Spitteler à Lucerne. [6]

De retour à Genève, il s'occupe de l'Agence des prisonniers de guerre. En fait, il se partage entre Genève et Sierre où les soldats alliés prisonniers sont hébergés.
Le 12 novembre 1917, il note : « 1212ème jour de guerre. » De nouveau l'année suivante, le 29 septembre 1918, il note « 1525ème jour de guerre. » Il sait que la fin du conflit est proche.

                
Au-dessus de la mêlée          Bio de Gandhi                Jean-Christophe

L'après-guerre et les années "Villeneuve", 1919-1938
Après la guerre, pas question de revenir en France pour s’exposer aux foudres des nationalistes et des anciens combattants. (son roman Colas Breugnon est boycotté) Il choisit alors de rester en Suisse, particulièrement à Villeneuve, villa Olga près de l'hôtel Byron où avait déjà séjourné Victor Hugo en 1883. Il y restera 16 ans de 1922 à 1938. [7]
Dans la veine de Jean-Christophe, il écrira à Villeneuve une autre grande saga qui lui prendra aussi une dizaine d'années, de 1922 à la publication du quatrième et dernier volume en 1933, "L'âme enchantée", basée sur l'histoire d'une jeune femme Annette Rivière qui se bat pour vivre indépendante et conquérir sa liberté.

Document utilisé pour la rédaction de l’article Août 1929 : L'amour le rattrape une nouvelle fois avec une jeune femme russe nommé Maria Koudachev... Ils ont près de 30 ans de différence et ils se marieront en 1934 à Villeneuve.
Document utilisé pour la rédaction de l’article Décembre 1931 : un moment fort, il reçoit chez lui le mahatma Gandhi, rencontre qui fera le tour de l'Europe, et même au-delà, et dont il en restera une photo mythique. (voir ci-dessus)
Pendant ce séjour de quelques jours, Gandhi réside à Vevey, villa Lionnette, chez la sœur de Romain.
Document utilisé pour la rédaction de l’article
Été 1935 : Voyage en URSS grâce à son ami Gorki... Il est même reçu par Staline. Mais l'année suivante, il prendra poliment ses distances avec les communistes. Il constate qu'il est sous surveillance et que sa situation en Suisse se dégrade.
Document utilisé pour la rédaction de l’article 1938 : Avant son départ, paraît son livre sur Rousseau intitulé "Les Pages immortelles de J.-J. Rousseau". Il écrit à une amie : « La Suisse n'a pas pour moi perdu son charme mais je n'y respire plus assez de liberté. »


       
Villeneuve - Vues du château

La retraite de Vézelay, 1938-1944
De retour en France en 1938, il s’installe dans le village médiéval de Vézelay, à l’ombre de sa célèbre abbaye. Il sent la guerre se rapprocher, écrivant : « La paix de Munich est une capitulation dégradante. » Pour lui, le pacifisme n'est plus de saison. Pendant l'Occupation, le régime de Vichy n'est pas vraiment sa tasse de thé. [8]
À la Libération, peu avant sa mort, il écrit dans son "Journal de Vézelay", « Dans mes rêves de malade, revient souvent le paysage de Villeneuve... Je garderai le regret de la maison au vieux noyer et du grand lac et de mes Alpes aux puissantes harmonies. »

Jusqu'à la fin de sa vie, le Prix Nobel de littérature 1915 correspondit en Suisse avec de grandes figures de son temps comme Sigmund Freud, Louis Aragon, Maxime Gorki, Rainer Maria Rilke, les indiens Gandhi et Tagore et son grand ami Stefan Zweig [10] qui écrivit sa biographie. Dans son "Journal de Vézelay" couvrant la période 1938-1944, il avoue son impuissance face au danger permanent de la guerre.

      
Colas Breugnon          L'âme enchantée            Autour de Villeneuve

Notes et références
[1] Rencontre à la villa Olga à Villeneuve où résidait Romain Rolland qui y reçut le mahatma
du 6 au 11 décembre 1931.
[2] Une sélection de leur correspondance est parue en deux volumes sous le titre "Chère Sofia" chez Albin Michel
[3] Il finira "Jean-Christophe" à Baveno sur les rives du lac Major en 1912

[4] Voir son ouvrage intitulé "Journal des années de guerre", 1914-18 paru chez Albin Michel  - voir aussi Second journal des années de guerre -
[5] CICR : Croix-rouge de Genève
[6] Écrivains suisses, prix Nobel de littérature, Carl Spitteler en 1919 et Hermann Hesse en 1946. Voir aussi "Hermann Hesse et Romain Rolland", D'une rive à l'autre : correspondance, Paris, Albin Michel, 1972
[7] Le mobilier de sa chambre bureau de la villa Olga a été reconstitué dans une salle du musée d'art et histoire qui porte son nom à Clamecy dans le Nièvre où il est né.
[8] Voir ses "Carnets intimes"
[9] Lors de la déclaration de guerre, il écrit dans son Journal : « Je suis accablé... Il est horrible de vivre au milieu de cette humanité démente et d'assister impuissant à la faillite de la civilisation. Cette guerre européenne est la plus grande catastrophe de l'histoire depuis des siècles, la ruine de nos espoirs en la fraternité humaine. »
[10] Voir Romain Rolland-Stefan Zweig. Correspondance t1 1910-1919, t2 1920-1927 et t3 1928-1940, Paris, Albin Michel, 2014-2016, édition établie, présentée et annotée par Jean-Yves Brancy


         


Mes autres fiches sur Romain Rolland
Rolland et Tolstoï -- Rolland et Stefan Zweig --
* Romain Rolland, Une vie --

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20 janvier 2024

Amos Oz, Judas

Référence : Amos Oz, Judas, éditions Gallimard, 352 pages, août 2016

         
« Je ne crois pas à la rédemption du monde. »
Amos Oz

En 2016, deux ans avant sa disparition, j'avais déjà publié une fiche sur son recueil Scènes de vie villageoise avec en complément la trame de trois autres de ses œuvres. Cette fois, c'est à travers l'un de ses derniers romans intitulé "Judas" que je me suis de nouveau intéressé à lui.

Le jeune Shmuel Asch désespère d'avoir assez d'argent pour pouvoir poursuivre ses études quand, ô miracle, il tombe sur une petite annonce assez inédite susceptible de résoudre son problème : un homme d'un âge (70 ans), invalide et cultivé, recherche un "garçon de compagnie" auquel il offre, en contrepartie de 5 heures de lecture et de conversation, un petit salaire et un logement.
Une aubaine pour lui, démuni après la faillite de ses parents et malheureux depuis le départ de son amie Yardena qui l'a quitté pour un hydrologue.

                  

Le voilà donc installé dans la maison de Gershom Wald, « dans cette maison dont les murs sont capables d'absorber la douleur, » confronté à cet homme bizarre avec lequel il a de longues discussions souvent enflammées sur la question arabe ou les idéaux du sionisme. Il va aussi y rencontrer la belle Atalia Abravanel, un peu plus âgée que lui mais si fascinante ! Elle habite également dans la maison de Gershom et est la fille d'une des grandes figures du sionisme.

      

Mais Shmuel va bientôt découvrir qu'un lourd secret la lie à Gershom...
Amos Oz nous offre un beau roman d'amour dans la Jérusalem de la fin des années cinquante, une réflexion sur la notion de traitre -d'où le titre du roman- et sur les différenciations entre judaïsme et christianisme. Dans ce roman, Amos Oz mêle le destin de ce jeune étudiant et l’Histoire de la naissance d'Israël à partir d’un questionnement sur les textes religieux, judaïsme et christianisme en particulier, et la figure de Judas.

           
                                          Avec ses parents                Avec Barbra Streisand


Amos Oz est assez pessimiste sur l'évolution de l'état d'Israël : « Je vous le dis, cher ami, deux hommes qui aiment une même femme, deux peuples réclamant la même terre auront beau boire ensemble des fleuves de café, ceux-ci n'éteindront pas leur haine, et les eaux ne la laveront pas. »
Voilà qui est dit par un romancier de grande autorité et de grande lucidité.

Amos Oz : Œuvres, quarto, avril 2022
Conçu avec l'écrivain et publié à titre posthume en 2022, cet ouvrage, intitulé simplement Œuvres, fait le point sur son parcours, à travers un choix de ses écrits et se termine par quelques conférences. Complété par des documents personnels inédits et les contributions de son traducteur anglais, Nicholas de Lange et de sa fille, l'historienne Fania Oz-Salzberger, cette édition permet de découvrir le regard qu'Amos Oz portait sur le monde, en particulier Israël, la Jérusalem divisée de son enfance et le kibboutz, lieu contrasté de solitude et de vie collective, creusets de son engagement politique.

                    

Voir aussi
* Scènes de vie villageoise --
* Soudain, dans la forêt profonde -- Entre amis --

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18 janvier 2024

Laurent Fabius et le droit constitutionnel

           

« Le Conseil constitutionnel n’est pas la Cour des comptes ». Agacé par la polémique autour du rapport de celle-ci sur l’immigration en France, Laurent Fabius a voulu préciser les choses avec le chef de l’État.

À l’occasion des vœux, il lui a rappelé ce qu'était le Conseil constitutionnel, tel que définit par la Constitution de 1958 en son article 56 et son rôle comme juridiction et régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics. Il lui a aussi rappelé cette phrase de Robert Badinter : « Une loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise, mais une loi mauvaise n’est pas nécessairement inconstitutionnelle ».

           
Vues du Conseil Constitutionnel

Le gouvernement doit assumer ses positions

Dans le cours de la discussion législative, Emmanuel Macron avait dit que « certaines dispositions étaient susceptibles d’être anticonstitutionnelles. » C’est pour cette raison que Fabius a cru bon de faire cette mise au point :
« Monsieur le président, je soulignais au début de mon propos que le Conseil constitutionnel n’était ni une chambre d’écho des tendances de l’opinion, ni une chambre d’appel des choix du Parlement, mais le juge de la constitutionnalité des lois, et j’ajoutais que cette définition simple n’était probablement pas ou pas encore intégrée par tous ».

          
Avec François Hollande                        Avec Isabelle Huppert

Fabius rappelle à Macron ce que signifie être une démocratie

Sa mise au point signifie que c’est un non-sens de faire voter une loi si on sait que certaines dispositions sont contraires à la Constitution. Ça signifie aussi respecter le vote des parlementaires, surtout après des négociations :
« Sauf à prendre le risque d’exposer notre démocratie à de grands périls, ayons à l’esprit que, dans un régime démocratique avancé comme le nôtre, on peut toujours modifier l’État du droit mais que, pour ce faire, il faut toujours veiller à respecter l’État de droit, qui se définit par un ensemble de principes cardinaux comme la séparation des pouvoirs, le principe de légalité et l’indépendance des juges. »

                 


Pour lui, il n’est pas question, pour des raisons politiques, de sacrifier les principes du droit, « il y a bientôt cinquante ans, conclut-il, que la jurisprudence du Conseil constitutionnel l’affirme en ces termes : c’est dans le respect de la Constitution que la loi exprime la volonté générale ».
Une belle leçon de droit qu’il faut parfois rappeler aux politiques… fussent-ils présidents de la république.



* CC : Visite virtuelle --

Voir aussi mes fichiers :
Document utilisé pour la rédaction de l’article
Constitution & déchéance de nationalité -- Immigration et droit du sol --
Document utilisé pour la rédaction de l’article
Retraite & art. 47-1 de la Constitution --

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17 janvier 2024

Tomasi di Lampedusa, Le Guépard

Référence : Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, éditions Le Seuil, 256 pages, 1958
* traduction de Fanette Pézard, 1959
* traduction Jean-Paul Manganaro, Points, 384 pages, 2007

                   
« Tout changer pour que tout demeure. » Tancrède


Le Guépard
, un roman d'exception écrit par un aristocrate italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa, qui paraît en 1958. Lampedusa y raconte la vie d'un prince sicilien don Fabrizio Corbera, prince de Salina. L'action se passe pendant la période tourmentée du Risorgimento mais c'est aussi, à travers l'histoire de la Sicile une peinture du délicat remplacement d'une société par une autre.

    Lampedusa à 59 ans

Il dit s'être inspiré de son arrière-grand-père pour le personnage principal, ses armes étant un lion léopardé [1] qui est devenu dans le roman un guépard. N'écrit-il pas : « Nous fûmes des guépards, les lions ; ceux qui nous remplaceront seront les petits chacals, les hyènes. »
Son œuvre est considérée par certains, les communistes en tête [2], comme plutôt « réactionnaire » et par d'autres comme très critique envers les élites. La position de l'auteur n'est pas spécialement tranchée : même s'il professait une certaine nostalgie pour l'Ancien régime, il admirait ce qu'il appelait « l'insolence jacobine des Français » de la Révolution.

              
Claudia Cardinale (Angelica Sedara) & Burt Lancaster (le prince de Salina) au bal
Claudia Cardinale, Burt Lancaster & Alain Delon

Mai 1860 : Garibaldi débarque à Marsala en Sicile. Le Prince Don Fabrizio Salina assiste avec détachement et mélancolie à l'écroulement de son monde. Lui et ses semblables, les « guépards », comprennent qu'ils sont condamnés par l'évolution de la société. Ils connaissent leurs remplaçants : les administrateurs et les grands propriétaires terriens de la classe sociale montante. Il comprend son neveu Tancrède car, même s'il combat dans les colonnes garibaldiennes, il agit pour que les événements tournent à son avantage.
Tancrède prétend que « si nous ne nous mêlons pas de cette affaire, ils vont nous fabriquer une république. Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout. » (p 34) [3] Mais ce pourrait être : "Celui-là aussi il attire les braises qui vont le dévorer". p 32

                
L'histoire du roman                   Lampedusa avec sa femme

Chez lui dans sa résidence d'été de Donnafugata en Sicile,le prince Salina trouve comme maire un "nouveau riche", Calogero Sedara, un bourgeois assez fruste. De son côté, Tancrède qui avait des vues sur Concetta, la fille aînée du Prince, s'éprend d'Angelica, la fille de don Calogero, qu'il épouse autant pour sa beauté que pour son patrimoine.

Au nom du Piémont, le cavaliere Chevalley di Monterzuolo offre à Don Fabrizio un poste de sénateur dans le nouveau Royaume d'Italie. Ce que refuse le prince, étranger à la nouvelle société qui se dessine, disant à l'émissaire « Ensuite, ce sera différent, peut-être pire… »

Don Fabrizio assiste à la collusion entre une noblesse déclinante et une bourgeoisie émergente. Elle va se concrétiser par l'organisation d'un bal magnifique, objet pour lui d'une méditation sur le sens de ces bouleversements et occasion de faire le bilan de sa vie.

            
Di Lampedusa : sa statue et son musée en Sicile à Santa Margherita di Belice

Réflexions et style -Citations
1- Don Ciccio : "J'étais un sujet fidèle, je suis devenu un bourbonien répugnant." p 130-31 + "Il portait les 2 fusils et en lui-même la bile de ses vertus piétinées." p 211  
2- "Bellini et Verdi : les éternelles pommades curatives des plaies nationales." p 197
3- "faculté de se leurrer soi-même : qualité essentielle requise pour qui veut guider les autres." p 206
4- Les siciliens : "Leur vanité est plus forte que leur misère." p 209
5- Morphine = "grossier substitut chimique de stoïcisme païen, de la résignation chrétienne". p 38
6- À la villa Salina, "le Prince les avait accueillis du haut de son inexpugnable courtoisie." p 65
7- "L'envoyé du Piémont était congénitalement bureaucratique". p 192
8- "Bellini & Verdi : les éternelles pommades curatives des plaies nationales". p 197 
9- "La faculté de se leurrer soi-même : qualité essentiellement requise pour qui veut guider les autres". Le Prince p 206

       

Histoire et personnages
Les personnages
- Ambivalence de Don Fabrizio : les pieds et l'ironie ancrés sur terre, les pensées proches des étoiles.
- Stella, l'épouse pieuse et trompée, Concetta, l'une des trois filles, soumise à son père, naïve, droite et revêche, l’inverse d’Angelica, l’aîné des fils Paolo, que son père n’aime pas, le contraire de Tancredi le neveu ruiné et ambitieux, préféré du Prince, qui lui ressemble.
L’Histoire dans l’Histoire
- Cette « guerre de libération » ne semble guère intéresser les siciliens. (cf Don Ciccio, point 1 de "réflexion")
- L'Histoire de l’Italie comme prétexte au parcours de Don Fabrizio, simplement évoquée ou introduit dans le fracas de la guerre (le soldat mort dans les jardins du Prince) :
- L’histoire est celle de l’histoire d’un grand sceptique, apathique face à la situation, pas un roman historique mais analyse les conséquences de l’Histoire sur les individus.

Interactions et situation
-- La guerre est partout : entre Naples & Piémont, Le Prince & Calogero, Concetta & Angelica p 95
-- L'art de dire les choses entre Le Prince, Calogero & père Pirrone p 145-46
"Mais don Calogero, poursuivait le Prince en mâchant les derniers cartilages de la couleuvre" [...] Les derniers petits os de la couleuvre avaient été plus écœurants que prévu; mais en fin de compte, eux aussi avaient été avalés". p 147-48
-- Décodage du texte louant le colonel P
allavicino, "Celui qui s'est si bien conduit dans l'Aspromonte." rappel de Garibaldi blessé + fin tacticien + sauveur de l'équilibre politique (p 247-48) 

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<< Christian Broussas • Le Guépard  © CJB  ° 17/01/2024  >>
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14 janvier 2024

Charles-Ferdinand Ramuz chantre suisse

          
Ramuz par René Auberjonois

« La seule vraie tristesse est dans l'absence de désir. »

Charles-Ferdinand Ramuz se rappelle parfois à notre souvenir comme lors de la soirée-rencontre à l'espace Guérin de Chamonix consacrée à son roman "Farinet ou la fausse monnaie" le 20 juillet 2023.

Charles-Ferdinand Ramuz
, écrivain atypique. Un peu parce qu'il est suisse, né à Lausanne en 1878 et mort  à Pully près de Lausanne en 1947 et qu'il utilisait parfois le patois local, le parler vaudois dans ses romans, ce qui lui donne un style très personnel, un peu aussi parce qu'il joue avec la ponctuation par exemple, comme si diront certains il faisait "exprès de mal écrire".

        


C'est à Paris qu'il poursuivit ses études et qu'il découvrit la littérature en fréquentant le salon d'Édouard    Rod et qu'il commence à publier son premier roman, "Aline", en 1905 chez Perrin. La première guerre mondiale le ramène en Suisse où il participe  à la revue des "Cahiers vaudois"  et y publie successivement "Adieu à beaucoup de personnages et autres morceaux", "Les Signes parmi nous" et "Histoire du Soldat."

         Ramuz dans le Lavaux

Avant de repartir en Suisse en 1914, il publie successivement 4 autres romans édités durant cette période - Les Circonstances de la vie en 1907, sélectionné pour le prix Goncourt, Jean-Luc persécuté en 1909, Aimé Pache, peintre vaudois, prix Rambert, l'année suivante et Vie de Samuel Belet en 1913, histoire d'une errance semée d'amours avortés ou impossibles.

                

« Le grand malheur, voyez-vous, pour un auteur, est qu’il soit un homme public ; qu’il le devienne nécessairement, dès qu’il se mêle de “publier”. Il a beau faire tout ce qu’il peut pour départager sa personne en deux moitiés dont l’une est l’homme, qu’il se réserve, l’autre l’auteur qu’il abandonne aux éléments et aux événements conjugués ; la cloison qu’il voudrait étanche ne l’est guère. »
Seconde lettre – Lettre à Henry-Louis Mermod, 1929

Prémonition : Il va s'inspirer de la canicule de l'été 1921 pour écrire un roman "Présence de la mort", imaginant une fin du monde caniculaire. Côté édition, c'est grâce à l'écrivain Henri Poulaille -lui aussi écrivain "de terroir", qu'il publiera chez Grasset à Paris tout en continuant à publier à Lausanne chez Mermod.

De retour en Suisse, il participe à la publication littéraire des Cahiers vaudois, en signe le manifeste à travers un essai intitulé Raison d'être. inspiré par la peinture et la musique, il publie L'exemple de Cézanne et entame une collaboration avec le compositeur Igor Stravinsky alors réfugié en Suisse. (voir ci-dessous "Histoire d'un soldat")

           

Il atteindra alors son acmé avec des romans comme La grande peur dans la montagne, Farinet ou la fausse monnaie (voir ci-dessous) et Derborence en 1934 (voir ci-dessous).
Les Cahiers de la quinzaine lui consacrent un article Pour ou contre Ch.-F. Ramuz, auquel il répond par un texte intitulé Lettre à Bernard Grasset. En 1930, il s'installe avec sa famille dans une maison vigneronne à Pully près de Lausanne, qui surplombe le vignoble et le lac Léman où il résidera jusqu'à sa mort.



Ch.-F. Ramuz a connu plusieurs évolutions au cours de sa vie d'écrivain. D'abord classé régionaliste (le monde paysan, un personnage central), il se diversifie de plus en plus avec la poésie (Le petit village), les nouvelles comme son recueil de 1946, les essais comme Raison d'être, les essais politiques (Taille de l'homme 1932, Questions 1935 et Besoin de grandeur 1937) et des textes lyriques, autobiographiques (Paris, notes d'un vaudois 1937 et Découverte du monde 1939), son Journal allant de 1896 à 1942.
On découpe parfois son œuvre en 3 périodes : paysanne (Vie de Samuel Belet...), fable antique (La grande peur dans la montagne, La beauté sur la terre...) et stylisation (Adam &  Ève, Derborence...)

            

Son roman "Farinet ou la fausse monnaie" - 1932
Le héros est une espèce de Robin des bois, roi de l'évasion, faux-monnayeur à ses heures. L'homme a réellement existé et vécut entre Val d'Aoste, Savoie et Valais au XIXe siècle. Arrêté pour cause de fausses monnaies qu'il redistribuait dans les villages, il s'évada plusieurs fois mais mourut en 1880 à l'âge de 35 ans.
Ramuz en a fait un roman d'aventure  peint dans son style singulier fait de mélanges des temps, d'expressions vaudoises, un genre qui se rattache aux courants picturaux modernistes de l'époque (il adorait Cézanne)  Il existe un mémorial dans la vallée de Chamonix, au-dessus de Vallorcine.

Derborence - 1934

Ce roman se situe dans une période faste pour Ramuz où il publiera en particulier La Grande Peur dans la montagneen 1926 et Si le soleil ne revenait pas en 1937. L'histoire s'inspire d'une catastrophe naturelle survenue à Derborence sur la commune de Conthey dans le canton du Valais, où un éboulement provoqua une quinzaine de morts et d'importants dégâts en 1714. Elle est basée sur le récit qu'en fit un pasteur vaudois en 1786.

Dans le roman, un berger Antoine Pont se trouve enseveli lors de l'effondrement d'un pan du massif des Diablerets. Sorti vivant de la catastrophe, il retourne au village retrouver Thérèse sa femme qui est enceinte et le croyait mort. Aussitôt, il pense repartir pour secourir son oncle Séraphin disparu dans les Alpages mais sa femme consciente du danger auquel il s'exposerait, parvient à le rattraper et à l'en dissuader.

         

Histoire d'un soldat - 1917
Une autre production spécifique est cette "Histoire d'un soldat" qu'on appelle un mimodrame, musique de scène composée par Igor Stravinsky en 1917 sur un texte de CF. Ramuz pour 3 récitants qui sont le lecteur, le soldat et de diable, et 7 instrumentistes (violon, contrebasse, cornet à pistons, trombone, basson, clarinette et percussions). Le grand compositeur russe st alors réfugié en Suisse dans le Valais pour cause de Révolution. Ce ballet-opéra se compose de plusieurs courts tableaux inspirés de danses telle que le tango, la valse ou le ragtime.

L'histoire est d'inspiration faustienne. Un soldat fort pauvre en est réduit à vendre son âme (le violon) au Diable contre un livre servant à prédire l'avenir. Mais le séjour avec le Diable va en fait durer trois longue années et quand le Soldat revient au village, personne ne le reconnaît, pas même sa promise qui s'est mariée.
Il pense alors utiliser son livre magique pour s'enrichir mais il s'ennuie et joue avec le Diable son argent contre le violon. Même s'il gagne, le Diable se laisse dérober le fameux violon. Et voilà comment le Soldat put guérir et séduire la belle Princesse malade qu'il réussit à guérir. Mais ils décident de partir et désobéissent au Diable, ce qui leur sera fatal. Car c'est bien de Diable qui triomphe à la fin dans une marche aux accents ironiques.

                  

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