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Frachet
17 janvier 2024

Tomasi di Lampedusa, Le Guépard

Référence : Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, éditions Le Seuil, 256 pages, 1958
* traduction de Fanette Pézard, 1959
* traduction Jean-Paul Manganaro, Points, 384 pages, 2007

                   
« Tout changer pour que tout demeure. » Tancrède


Le Guépard
, un roman d'exception écrit par un aristocrate italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa, qui paraît en 1958. Lampedusa y raconte la vie d'un prince sicilien don Fabrizio Corbera, prince de Salina. L'action se passe pendant la période tourmentée du Risorgimento mais c'est aussi, à travers l'histoire de la Sicile une peinture du délicat remplacement d'une société par une autre.

    Lampedusa à 59 ans

Il dit s'être inspiré de son arrière-grand-père pour le personnage principal, ses armes étant un lion léopardé [1] qui est devenu dans le roman un guépard. N'écrit-il pas : « Nous fûmes des guépards, les lions ; ceux qui nous remplaceront seront les petits chacals, les hyènes. »
Son œuvre est considérée par certains, les communistes en tête [2], comme plutôt « réactionnaire » et par d'autres comme très critique envers les élites. La position de l'auteur n'est pas spécialement tranchée : même s'il professait une certaine nostalgie pour l'Ancien régime, il admirait ce qu'il appelait « l'insolence jacobine des Français » de la Révolution.

              
Claudia Cardinale (Angelica Sedara) & Burt Lancaster (le prince de Salina) au bal
Claudia Cardinale, Burt Lancaster & Alain Delon

Mai 1860 : Garibaldi débarque à Marsala en Sicile. Le Prince Don Fabrizio Salina assiste avec détachement et mélancolie à l'écroulement de son monde. Lui et ses semblables, les « guépards », comprennent qu'ils sont condamnés par l'évolution de la société. Ils connaissent leurs remplaçants : les administrateurs et les grands propriétaires terriens de la classe sociale montante. Il comprend son neveu Tancrède car, même s'il combat dans les colonnes garibaldiennes, il agit pour que les événements tournent à son avantage.
Tancrède prétend que « si nous ne nous mêlons pas de cette affaire, ils vont nous fabriquer une république. Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout. » (p 34) [3] Mais ce pourrait être : "Celui-là aussi il attire les braises qui vont le dévorer". p 32

                
L'histoire du roman                   Lampedusa avec sa femme

Chez lui dans sa résidence d'été de Donnafugata en Sicile,le prince Salina trouve comme maire un "nouveau riche", Calogero Sedara, un bourgeois assez fruste. De son côté, Tancrède qui avait des vues sur Concetta, la fille aînée du Prince, s'éprend d'Angelica, la fille de don Calogero, qu'il épouse autant pour sa beauté que pour son patrimoine.

Au nom du Piémont, le cavaliere Chevalley di Monterzuolo offre à Don Fabrizio un poste de sénateur dans le nouveau Royaume d'Italie. Ce que refuse le prince, étranger à la nouvelle société qui se dessine, disant à l'émissaire « Ensuite, ce sera différent, peut-être pire… »

Don Fabrizio assiste à la collusion entre une noblesse déclinante et une bourgeoisie émergente. Elle va se concrétiser par l'organisation d'un bal magnifique, objet pour lui d'une méditation sur le sens de ces bouleversements et occasion de faire le bilan de sa vie.

            
Di Lampedusa : sa statue et son musée en Sicile à Santa Margherita di Belice

Réflexions et style -Citations
1- Don Ciccio : "J'étais un sujet fidèle, je suis devenu un bourbonien répugnant." p 130-31 + "Il portait les 2 fusils et en lui-même la bile de ses vertus piétinées." p 211  
2- "Bellini et Verdi : les éternelles pommades curatives des plaies nationales." p 197
3- "faculté de se leurrer soi-même : qualité essentielle requise pour qui veut guider les autres." p 206
4- Les siciliens : "Leur vanité est plus forte que leur misère." p 209
5- Morphine = "grossier substitut chimique de stoïcisme païen, de la résignation chrétienne". p 38
6- À la villa Salina, "le Prince les avait accueillis du haut de son inexpugnable courtoisie." p 65
7- "L'envoyé du Piémont était congénitalement bureaucratique". p 192
8- "Bellini & Verdi : les éternelles pommades curatives des plaies nationales". p 197 
9- "La faculté de se leurrer soi-même : qualité essentiellement requise pour qui veut guider les autres". Le Prince p 206

       

Histoire et personnages
Les personnages
- Ambivalence de Don Fabrizio : les pieds et l'ironie ancrés sur terre, les pensées proches des étoiles.
- Stella, l'épouse pieuse et trompée, Concetta, l'une des trois filles, soumise à son père, naïve, droite et revêche, l’inverse d’Angelica, l’aîné des fils Paolo, que son père n’aime pas, le contraire de Tancredi le neveu ruiné et ambitieux, préféré du Prince, qui lui ressemble.
L’Histoire dans l’Histoire
- Cette « guerre de libération » ne semble guère intéresser les siciliens. (cf Don Ciccio, point 1 de "réflexion")
- L'Histoire de l’Italie comme prétexte au parcours de Don Fabrizio, simplement évoquée ou introduit dans le fracas de la guerre (le soldat mort dans les jardins du Prince) :
- L’histoire est celle de l’histoire d’un grand sceptique, apathique face à la situation, pas un roman historique mais analyse les conséquences de l’Histoire sur les individus.

Interactions et situation
-- La guerre est partout : entre Naples & Piémont, Le Prince & Calogero, Concetta & Angelica p 95
-- L'art de dire les choses entre Le Prince, Calogero & père Pirrone p 145-46
"Mais don Calogero, poursuivait le Prince en mâchant les derniers cartilages de la couleuvre" [...] Les derniers petits os de la couleuvre avaient été plus écœurants que prévu; mais en fin de compte, eux aussi avaient été avalés". p 147-48
-- Décodage du texte louant le colonel P
allavicino, "Celui qui s'est si bien conduit dans l'Aspromonte." rappel de Garibaldi blessé + fin tacticien + sauveur de l'équilibre politique (p 247-48) 

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<< Christian Broussas • Le Guépard  © CJB  ° 17/01/2024  >>
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