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Frachet
18 septembre 2021

Sorj Chalandon Enfant de salaud

Référence : Sorj Chalandon Enfant de salaud, éditions Grasset, 336 pages, août 2021

« J’écris pour mettre à distance ce que j’ai vécu. » Sorj Chalandon

«Ton père portait l’uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud !  » Il l’aurait même vu un jour habillé en Allemand, place Bellecour, à Lyon.

                   

C‘est ainsi que son grand-père remit les pendules à l’heure et lui enleva ses illusions.
Finie la belle image du père Résistant qu’il tentait de présenter à son fils qui dit : « J’ai passé mon enfance à croire passionnément tout ce qu’il me disait, et le reste de ma vie à comprendre que rien de tout cela n’était vrai. »

Ce père, Sorj Chalandon avait  déjà réglé ses comptes avec lui dans son "roman" largement autobiographique "Profession du père", peignant un homme violent et fantasque qui terrorise sa famille. Le genre d’enfance dont on ne revient jamais vraiment et qui a tendance à vous hanter tout au long de la vie.

Alors, qu’a-t-il donc fait ce père pendant la guerre et l'Occupation pour avoir provoqué cette réaction épidermique de son grand-père. Il faudra attendre mai 1987 pour en avoir le cœur net.

                   

À cette date, va commencer à Lyon le procès de Klaus Barbie. À cette occasion, il apprend que le dossier judiciaire de son père sommeille aux archives départementales du Nord, l’existence d’un «  collabo  » qui prend corps à travers procès-verbaux de police et interrogatoires de justice, jusqu’au procès et sa condamnation.
Rien à voir avec le déterminisme d’un « Lacombe Lucien » entraîné dans la collabo presque à son corps défendant, plus proche de l’opportunisme d’un Zelig , homme caméléon qui s'adapte à toutes les situations. [1]

             
                                                          Sorj Chalandon et Sandrine Bonnaire

À dix-huit ans, son père rotors et sans scrupules, ne sait que faire de sa vie. Il va traverser cette guerre avec une inconscience sidérante, portant pendant le conflit cinq uniformes et étant quatre fois déserteur. Portant sans états d’âme la croix gammée puis la croix de Lorraine. Il réussit même un temps, à la fin de la guerre, à berner tout le monde, même ce fils devenu journaliste.

Au procès Barbie qui se déroule à Lyon, ils sont là tous les deux, le fils avec la presse, le père dans le public. Le procès Barbie cache un autre procès, celui qui père qui va enfin être obligé de s’expliquer sur ses mensonges et son rôle pendant la guerre. Avec l’ambivalence de ce fils tiraillé entre son travail de journaliste et cette marque « d’enfant de salaud » qu’il encaisse mal.

               
         Avec le metteur en scène Emmanuel Meirieu

Sous sa pression, son père finira par avouer avec aplomb qu’il avait été proche de la division « Charlemagne » de la Waffen-SS et défendu jusqu’au bout le bunker d’Hitler. Il trouvrera également dans une vieille boîte non seulement des lettres et des cartes postales mais surtout le casier judiciaire de son père ainsi que son billet de sortie de prison.
Plus qu'un aveu.

         

À l'époque de l’épuration en août 1945, son père avait été condamné pour des « actes nuisibles à la défense nationale », à un an de prison et cinq ans de dégradation nationale. Cette découverte l'incitera à affronter son père car, dit-il, « J’ai besoin de savoir qui tu es pour savoir d’où je viens. » Ce père le hantera tant qu'il en fera un des personnages de livres comme Le petit Bonzi ou La légende de nos pères... jusqu'à cet "enfant de salaud" qui sans doute résonne encore en lui.

Sa couverture du procès Barbie a été un moment fort pour Sorj Chalandon. Elle lui a d'ailleurs valu de recevoir le prestigieux prix Albert-Londres en 1988. Elle l'a aussi tellement marqué qu'elle a été le point de départ de cet ouvrage. Mais l'affrontement entre le père et le fils n'a jamais eu lieu. Ce dernier n'a découvert le contenu du dossier de la cour de justice de Lille qu’au mois de mai 2020, six ans après la mort de ce père qui avait finalement été interné dans un hôpital psychiatrique lyonnais..

         

Notes et références
[1] Voir Leonard Zelig, le personnage de Woody Allen dans le film éponyme

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