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Frachet
15 novembre 2020

Agota Kristof, écrivaine écartelée

Agota Kristof (1935-2011) fait partie de cette génération qui eut un destin mouvementé et pas très enviable comme ces autres écrivains d’Europe centrale, l’écrivaine germano-roumaine  Herta Müller ou son compatriote Imre Kertész  l’auteur d’Être sans destin.

         

On le voit très bien à travers deux réactions qui ont marqué sa vie : son refus d’écrire dans sa langue maternelle le hongrois et à la fin de sa vie, un total rejet de l’écriture la poussant même à détruire son Journal qui lui rappelait trop de souvenirs douloureux qu'elle se refusait à partager.

Son traumatisme est lié à cette perte d’identité qu’elle a ressenti toute petite en entendant parler allemand dans son pays puis après la guerre en entendant parler russe. Elle s’était sentie dépossédée de sa langue maternelle, étrangère à elle-même, incapable d’écrire désormais en hongrois.

       

Quand elle choisit l’exil en 1956 avec son premier mari et son bébé, après un périple éprouvant qui les mena jusqu’à Neuchâtel en Suisse, elle décida d’écrire désormais en français, malgré les difficultés d’approche d’une langue qu’elle découvrit progressivement. Cette langue qu’elle appelait par ironie « ennemie » tant elle peina pour la dominer et  pour parvenir à réaliser une véritable œuvre littéraire. [1]

C'est cet itinéraire, ce lien étroit entre langue et identité qu'elle décrit dans son ouvrage autobiographique intitulé "L'analphabète" où elle s'aperçoit que parler de soi ne peut se faire que dans sa langue maternelle.

Elle avait sans doute toujours été tiraillée entre le hongrois et le français mais elle s’aperçut vers la fin de sa vie que le conflit d’identités en elle l’empêchait de dresser en français un autoportrait qui la satisfasse vraiment. Elle cessa alors d’écrire en français et voulut revenir à sa langue maternelle. Mais elle perdit le besoin d'écrire sans qu’elle sache l’expliquer. Pour finir, elle vendit  aux Archives littéraires suisses tous ses manuscrits, sa machine à écrire et son dictionnaire bilingue hongrois-français.

                   

Écrivaine éclectique, elle publie romans, nouvelles, poésies et pièces de théâtre mais elle est surtout connue pour sa trilogie des jumeaux, composée de Le Grand cahier, La Preuve et Le Troisième mensonge.

Le Grand cahier, c’est la vie misérable de jumeaux livrés à eux-mêmes dans un pays en guerre, qui devront trouver les moyens de leur propre survie. Leur grand cahier, c’est leur Journal qu’ils rédigent en notant leurs découvertes et leurs apprentissages. Ils rejettent toute morale et construisent eux-mêmes leurs propres valeurs.

           
Clous et autres poèmes             Le Monstre, pièce mise en scène par Guillaume Malasné

Dans La preuve, Lucas désormais seul, a décidé de faire le bien, de devenir  un être social dans un pays soumis à la dictature. Mais est-ce possible, difficile de penser qu’il peut y avoir de la générosité sans crime dans une société de peur où l’on s’épie.

Dans Le Troisième mensonge, pour Claus l’autre jumeau, le mensonge est une technique de survie. La guerre et la dictature font désormais partie du passé. Et maintenant, c’est la liberté mais qui n’a pas forcément un air de vérité. Trois époques, trois mensonges, n’est-ce pas finalement la vie de Lucas et de Claus qui n’est qu’un mensonge ?

Notes et références
[1]
 Valérie Petitpierre, D'un exil l'autre : les détours de l'écriture dans la Trilogie romanesque d'Agosta Kristof, Carouge - Genève, Zoé, 2000

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<< Ch. Broussas, Agota Kristof 15/11/2020 © • cjb • © >>
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