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Frachet
19 novembre 2023

L’affaire Mortara

                    
Edgardo Mortara et sa mère en 1884
Mémoires d'Edgardo Mortara
 

L’enlèvement, du cinéaste Marco Belloccchio, c’est le titre du film qui sort le 1er novembre 2023, fresque historique qui raconte l’affaire Mortara et ses développements qui joua un grand rôle dans la recrudescence de l'antisémitisme à l’époque.
Le film nous entraîne pendant quelque deux heures dans l’Italie du Risorgimento et le drame de la famille Mortara dans le cadre du contexte politique existant alors.

Nous sommes en 1858 dans les États du pape (qui existaient encore) , Edgardo, un enfant juif, est retiré à ses parents pour recevoir une éducation catholique. Le motif de cette mesure radicale est assez difficile à imaginer de nos jours, même après plus de 150 ans : le garçonnet aurait été secrètement baptisé par ondoiement [1] un peu après sa naissance par la bonne catholique de la famille. (de quoi s’est-elle mêlée celle-là !)

          
Affiche du film       Edgardo dans l'Enlèvement, film de Marco Bellocchio

Cette décision intempestive de l’Église donnera lieu à une réaction véhémente de la communauté juive et une vaste campagne de presse qui se répercute dans toute l’Europe et jusqu’aux États-Unis. En France, les milieux catholiques sous-entendent le développement d’un complot juif visant à noyauter la presse et même la finance. Mais un historien comme Michel Winock, et d’autres analystes, parlent de la résurgence de l’antisémitisme.

Sur le plan politique, Napoléon III pense à aider les italiens à gagner leur indépendance et de se libérer du joug des Habsbourg et rencontre alors le Premier ministre piémontais Cavour à Plombières, petite ville thermale des Vosges, les 20 et 21 juillet 1858.


Le rapt d’Edgardo Mortara, Oppenheim, 1862

Enlevé à ses parents pour le salut de son âme

Ce qu’on va appeler rapidement l’affaire Mortara débute le 23 juin 1858, les carabiniers débarquent chez Salomone Levi et Mariana Mortara, juifs aisés de Bologne, pour voir les huit enfants du couple, dont les âges varient entre quelques mois et onze ans.
Ils emmènent avec eux le petit Edgardo âgé de six ans et le confient à une institution catholique pour qu’il reçoive une éducation religieuse, l'hospice des catéchumènes à Rome, près de l'église de la Madone-des-Monts.

           
Pie IX, portrait de Georg Healy, 1871
Pie IX et ses ministres, Galofre Coma, 1847    


On apprend que c’est l’inquisiteur de Rome, le dominicain Pier Gaetano Ferreti (de la Sacrée Congrégation du Saint-Office, chargée de la défense de la doctrine catholique) qui a mandaté les carabiniers pour exécuter cette besogne.

Le nœud de l’affaire, c’est que six ans plus tôt, leur ancienne servante, une catholique qui, voyant le nourrisson malade, l’avait baptisé en urgence (pratiquant un ondoiement) pour qu’il aille au paradis. L’inquisiteur en ayant été informé, après avoir entendu la servante, décida d’appliquer la loi romaine en récupérant l’enfant…

Voilà l’argumentation retenue par l’administration pontificale :
• L’ondoiement confirmé à Rome par un baptême a transformé l’enfant en chrétien ;
• Par le baptême, l'Église a acquis sur lui « un droit supérieur à tout droit humain » et la famille Mortara doit s’y conformer ;
• Les Mortara n’avaient pas le droit  d’employer une domestique catholique, même si le texte en question était peu appliqué.
Le pape Pie IX interrogé sur ce problème, répondra : « Nous ne pouvons pas revenir sur une décision qui relève de l’ordre divin ». (« Non possumus »)

   Intérieur de la basilique Saint-Pierre-aux-Liens où Edgardo a passé plusieurs années

Dès lors, il s’agit d’une affaire d’État. La famille Mortara et les juifs de Bologne alertent la synagogue d’Alexandrie dans le Piémont ainsi que les communautés israélites d’Italie et tous les pays alentour. Ils accumulent les éléments de vice de forme et de machination de la part de l'action de l'Église mais malgré l'appui de beaucoup de pays européens, rien n'y fera.

Cette règle très ancienne appliquée par l'Église, ne tient pas compte de l'évolution des sociétés, le droit chrétien se sépare ainsi de plus en plus des mentalités et cette affaire participera aussi au déclin de l'église catholique en Europe occidentale.

     
Bologne, La Piazza Maggiore et La fontaine Neptune

En 1860 débute le procès de l'inquisiteur Feletti et de De Dominicis le chef des gendarmes pontificaux. Les motifs d'inculpation sont nombreux mais Fetetti répondra à l'envi que « les juges de l'Église ne sont assujettis à aucune autre autorité qui lui est inférieure... n'étant pas permis à qui que ce soit de se faire juge des décisions émanant du Siège apostolique en matière de foi et de mœurs. » Arguant qu'ils ont simplement obéi aux ordres émanant de Rome, les deux hommes seront acquittés.

Une seconde affaire assez comparable aura lieu six ans plus tard en 1864 à Rome, concernant un autre garçon juif de onze ans, Giuseppe Cohen. Et là encore, rien ne fera fléchir le pape Pie IX et son secrétaire d'État. L'enfant sera placé chez les Carmes et ne reverra plus jamais sa famille.

                
                                                      Ouvrages de David Kertzer

Notes et références
[1]
L'ondoiement est un baptême simplifié utilisé en cas d'ugence, qui consiste à verser de l’eau sur la tête de l'enfant en prononçant les paroles sacramentelles : « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ».

Voir également
* David Kertzer, Pie IX et l’enfant juif, éditions Perrin, 1998

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