Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Frachet
27 septembre 2022

Stefan Zweig Conscience contre violence

Référence : Stefan Zweig, Conscience contre violence, éditions Le Castor astral, traduction Alzir Hella, préface Hervé Le Tellier, postface Sylvain Reiner, 1997, éditions Le livre de poche, 288 pages,  septembre 2010

« Même la plus pure vérité, quand on l'impose par la violence, devient un péché contre l'esprit. »

Ce livre de Stefan Zweig, Conscience contre violence, publié en mai 1936- la date est importante- est en fait au départ une commande qui a dû faire écho à ses préoccupations, de Jean Schorer pasteur à la cathédrale Saint pierre de Genève qui prônait une pratique réformée tolérante à limage de Sébastien Castellion qui en son temps s'est opposé au dogmatisme de Jean Calvin.

Stefan Zweig a donc relaté le conflit entre deux réformés de sensibilité fort différente, Sébastien Castellion (1515 - 1563) et Jean Calvin (1509-1554), un affrontement symbolique qui traverse les époques et pose des questions qui rejoignent nos problèmes contemporains. Des thèmes qui sont en effet intemporels, concernant les questions de liberté et de tolérance confrontés à différentes formes d'intégrisme.

                    
                            Castellion, plaque commémorative                Zweig et sa femme

Stefan Zweig publie son texte en 1936, époque où le fascisme atteint son apogée. Il est en effet fort tentant de faire un parallèle entre la ville de Genève et l'Allemagne nazie, entre Calvin et Hitler en particulier. Le monde actuel est à son tour confronté lui aussi au fanatisme religieux, à la montée en puissance de l'extrême droite  et ce texte est là pour nous permettre de réfléchir à la pérennité de ce phénomène qui a tendance à traverser les siècles.

Sous la férule de Calvin, les Genevois furent interdits de chapelet, de crucifix et soumis à des règles d'austérité très contraignantes; il leur dénie tout forme de plaisir. Zweig en dit ceci : « C'est une chose dangereuse que d'avoir contredit, ne fût-ce qu'une fois et sur un point de détail insignifiant, un lutteur aussi fanatique que Calvin. Car la haine spirituelle de celui-ci, comme tout dans son caractère, est inflexible et méthodique. » À propos de ses méthodes, il parle de "Gestapo des mœurs."
Nous sommes alors dans un temps d'intolérance où les hommes sont écartelés entre l'austérité calviniste et le terrible pouvoir de l'inquisition catholique, où toute contestation peut signifier la mort.

« L'humanité se verra contester chacun de ses progrès, et l'évidence sera de nouveau mise en doute.  »

                     
Sébastien Castellion                     Jean Calvin                  Michel Servet              

Un constat a frappé Zweig : pendant deux siècles, la ville de Genève dominée par les idées puritaines et rigides de Calvin, ne produira aucun artiste de réputation mondiale.
Jean Calvin et Sébastien Castellion sont tous deux des émigrés français protestants réfugiés à Genève. Mais d'un point de vue psychologique, ils sont aux antipodes l'un de l'autre. Calvin est un psycho rigide, sûr d'avoir raison, qui décide pour les autres et n'hésite pas à éliminer ses opposants, disant : « il faut ou le combattre ou se soumettre à lui ». Castellion respecte les autres, et leurs pensées. C'est un homme de liberté, un homme de courage aussi, qui n'hésite pas à s'engager et à défendre ses idées, même si c'est dangereux.

                    

« Seule l'idée de liberté spirituelle, idée suprême que rien ne peut détruire, remonte toujours à la surface parce que éternelle comme l'esprit. »

Ils se sont très bien connus. Vers 1535, Castellion après des études au collège de la Trinité à Lyon, découvre l’Institution de Jean Calvin et les idées réformées. En 1540, il est à Strasbourg où il loge chez Calvin, lui prêtant assistance lors d'une épidémie de peste. L'année suivante, revenu à Genève, Calvin lui propose de devenir recteur du Collège de Rive, qui vient d’ouvrir et il écrira alors ses Dialogues Sacrés.
Mais leurs conceptions, vraiment trop différentes vont les séparer.

Leurs divergences théologiques sont assez difficiles à comprendre à notre époque, portant sur l'interprétation du Cantique des cantiques et celle du symbole des Apôtres. Ce qui poserait en fait le problème du droit d'avoir une opinion personnelle dans le domaine de la foi. Castellion sera alors obligé d'aller s'installer à Bâle en 1545 et de travailler dans une imprimerie avant d'être nommé professeur de grec à l'Université.

                 

Une affaire d'importance va mettre le feu aux poudres : le 27 octobre 1553, Michel Servet est condamné à être brûlé à Genève pour hérésie antitrinitaire. Il sera brûlé vif sur la place du Marché de Champel à Genève. Ce drame va irrémédiablement opposer les deux hommes. Castellion publiera rapidement un ouvrage intitulé Traité des Hérétiques sur le thème de la tolérance.

La question posée est claire : est-il juste ou pas de condamner à mort un homme accusé d'hérésie ? Castellion répond dans son traité : « Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas une doctrine, ils tuaient un être humain : on ne prouve pas sa foi en brûlant un homme mais en se faisant brûler pour elle  ».

« Les instants les plus grands sont toujours au-delà du temps. »

                      

Castellion veut croire que le dialogue avec Calvin est possible, au moins pour adoucir son rigorisme. Zweig sait bien que la Réforme s’est implantée en Hollande comme en Angleterre et a favorisé l’extension du libéralisme aux États-Unis. Quand en 1560, commencent en France les guerres de religion, Castellion publie Conseil à la France désolée qui annonce l’Édit de Nantes, c'est-à-dire la coexistence de deux religions dans un pays. Montaigne lui rendra d'ailleurs hommage des ses Essais.

Triomphe de la force et mort de Castellion

Calvin fait entrer au Conseil les nouveaux arrivants qui lui sont favorables jusqu'à créer un conflit avec les genevois qui progressivement vont être éliminés. Il va constamment tendre des pièges à Castellion pour le déconsidérer et pouvoir le faire condamner. Malgré le soutien de Mélanchton, il est en mauvaise posture quand la mort le surprendra.
Paradoxalement, le système totalitaire de Calvin qui condamne la liberté individuelle, va enfanter l'idée de liberté politique et de tolérance religieuse  qui vont s'implanter aux Pays-bas, en Angleterre et aux USA.

« Il se trouvera toujours un Castellion, écrit Zweig,  pour s'insurger contre un Calvin et pour défendre l'indépendance souveraine des opinions contre toutes les formes de la violence. » Mais l'Histoire pense Zweig, est faite d'avancées démocratiques et de retours en arrière, lutte séculaire entre Calvin et Castellion.

                                                             Les derniers jours de S. Zweig : la pièce de Laurent Seksik

Notes et références
Document utilisé pour la rédaction de l’articleVoir aussi Jérôme Savonarole : théocratie à Florence 1494-98 --

Voir aussi :
Document utilisé pour la rédaction de l’article Stefan ZweigPrésentation - Laurent Seksik Les derniers jours de Stefan Zweig -
Document utilisé pour la rédaction de l’article Stefan Zweig, Clarissa -- Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen (1944)
Document utilisé pour la rédaction de l’articleStefan Zweig, Biographies -- Écrits politiques
, 1897-1919 et 1910-1919

Document utilisé pour la rédaction de l’article
Lettre d'une inconnue -- Magellan -- Romain Rolland -- Fouché --

----------------------------------------------------------------------------------------------
<< Christian Broussas
Zweig Conscience   © CJB  °°° 27/09/2022  >>
----------------------------------------------------------------------------------------------

Commentaires
Frachet
Archives