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Frachet
21 juillet 2022

Pascal Quignard L’amour la mer

 Référence : Pascal Quignard, "L'amour la mer", éditions Gallimard, 400 pages, janvier 2022

 

Lauréat du prix Goncourt 2002 pour Les Ombres errantes, Pascal Quignard, né en 1948 est l'auteur de nombreux romans dont Le salon du Wurtemberg, Tous les matins du monde, Terrasse à Rome, Villa Amalia et de quelques essais comme Petits traités et Dernier royaume.

Pascal Quignard revient ici à la forme romanesque, reprenant les thèmes favoris qu’il a toujours disséqués depuis La Leçon de musique en 1987, traçant dans son style inimitable un superbe portrait d'une époque.

         

« C’est quoi, être libre ? : C’est s’enfuir de tout. »

Le fil conducteur : une histoire d’amour au XVIIe siècle, dans une ambiance de frénésie guerrière et bien sûr de musique comme beaucoup de romans de Quignard, entre Thullyn, jeune instrumentiste scandinave et Hatten, maître reconnu du théorbe. Une histoire qui permet aussi à l’auteur d’explorer les arcanes de l’amour et de la création.
On y pratique beaucoup la musique et les cartes, nourriture quotidienne de ceux qui en ont besoin pour vivre.  
La musique, c’est « dans la nuit quatre hommes, quatre perruques… éclairés par les minuscules flammes des bougies de suif accrochées aux chevalets des partitions […] On a le sentiment… qu’ils sont partis ailleurs, très loin ailleurs… »

                       

Derrière ce qu’il appelle « l’anomie de la France de 2020 », il voit poindre les années des guerres civiles, en particulier l’année 1650 et au-delà, d’autres guerres encore «  moins féroces mais tout aussi toxiques. » On peut discerner derrière l’épidémie de Covid comme des relents d’épidémie de peste et  « derrière les gilets jaunes, la Fronde. » Il aime profondément ces échos de l’histoire, « ces vertiges dans le temps » comme il les nomme lui-même.
De plus, il a perdu son très cher petit frère violoncelliste en mars 2020 pendant qu’il écrivait ce livre. D’où cette musique qui joue un rôle particulier dans ce roman.

« Parler, c'est faire figure. Écrire, C’est disparaître. »

            
                Pascal Quignard et Kaoru Hakata à Nagasaki , 16 mai 2018

C’est, dit-il, souvent dans les périodes les plus troubles que les sociétés connaissent l’art qui s’élève à son plus haut. Anomie et état créatif se répondent ainsi, une grande anomie étant propice à une grande créativité.

Il revient à l’époque de la Fronde où se rencontrent la culture et l’Histoire. En janvier 1652 Georges de La Tour meurt à Lunéville de la peste. Le même jour, Jacqueline Pascal s’enfuit de chez elle pour se réfugier à Port-Royal des Champs. Le pouvoir royal est en déshérence, chassé de Paris. Premières "barricades" dans la capitale, c’est la Journée du Feu. [1] La Rochefoucauld, blessé à l’œil, doit vivre constamment dans le noir. En août, le luthiste Blancrocher [2] chute mortellement sur son théorbe dans son escalier de la rue des Bons-Enfants. Son ami Johann Froberger composera le Tombeau de Monsieur de Blancrocher[3] première véritable "suite" du courant baroque. Collision entre l’Histoire et la culture.

                     

Il voit la liberté comme une fuite, « le départ, le coup de foudre… il n’y a que ça qui compte.  Thullyn qui adore la mer, qui plonge dans la mer. » Un même mouvement pour partir, voyager, essaimer une religion, protéger la culture.
Il termine par le thème de l’amour et de la séparation. « Thullyn et Hatten, ne savent pas pourquoi ils se séparent... quelque chose d’une séparation impossible à combler dans la sexuation. » Un étroit chemin si difficile à parcourir.
« Quand j’étais tout petit la jeune Allemande qui s’occupait de moi est partie brusquement, du jour au lendemain : séparation incompréhensible… je n’ai rien compris, anorexie, dépression du nourrisson, manger dans le noir… tout est remonté en écrivant ce roman. Vous savez, une séparation incompréhensible, la mort est aussi cela, de façon aussi lumineuse que déchirante. »

          
Avec Mireille Calle-Gruber devant son violoncelle    
Avec Midori Ogawa île de Goto Japon, 2018

Notes et références
[1] La Journée du feu, appelée aussi Journée ds barricades, qui se déroula le 26 août 1648, est une rébellion des parisiens pour défendre les lois et le Parlement de Paris contre la régente Anne d'Autriche et Mazarin.
[2] Charles Fleury, sieur de Blancrocher (1605 – 1652 fut un des luthistes les plus renommé de son époque. On le connaît le plus souvent sous le nom de Blancrocher.
[3] Le tombeau de monsieur de Blancrocher (extrait)

Voir aussi mes fiches :

Document utilisé pour la rédaction de l’article Pascal Quignard, Tous les matins du monde -- Terrasse à Rome --
Document utilisé pour la rédaction de l’article Quignard, Jeunesse au Havre -- Quignard à Sens --

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