« Les intérêts matériels sont devenus prépondérants » déclarait Joseph Lainé, député de la Gironde, devant la Chambre des députés, le 6 mai 1820.

Décidément, la Restauration commençait Mal. Après la parenthèse des Cent-Jours, ce fut l'éruption du volcan indonésien Tambora en avril 1815 qui allait empoisonner ce début de règne. Toute l'Europe connut alors ce qu'on nomma "l'année sans été", entraînant en 1816 des famines engendrant elles-mêmes une grande instabilité sociale.

En 1815, une nouvelle assemblée est élue, une "Chambre introuvable" où les "ultras" qu’on appelle ainsi parce dit-on, ils sont plus royalistes que le roi, ont une majorité écrasante et choisissent de siéger sur la partie droite de l’hémicycle, revenant à un usage esquissé sous la Révolution et disparu depuis l’Empire.

      

Les ultras se retrouvent dans les propos d’hommes comme monsieur de Chateaubriand qui dira de cette période : « Les quinze années  de la Restauration, sous un régime constitutionnel, avaient fait naître parmi nous cet esprit d’humanité, de légalité et de justice que vingt-cinq années de l’esprit révolutionnaire n’avaient pu produire. »
C’était faire bon marché des règlements de comptes comme La Terreur blanche qui verra entre autre l’assassinat du maréchal Brune à Avignon

       

La Terreur blanche connut aussi une épuration institutionnelle dans les administrations. La Loi de 1825 "concernant l'indemnité à accorder aux anciens propriétaires de biens-fonds confisqués et vendus au profit de l'État en vertu des lois sur les émigrés, les condamnés et les déportés" coûta au trésor public près d’un milliard et toucha quelque cinquante mille personnes.

                      
Élie Decazes, ministre favori de Louis XVIII

Parmi les ratés de cette politique, on peut citer l’affaire dite du radeau de la Méduse où on confia à Hugues Duroy de Chamareys le commandement de ce bateau en 1815, incapable notoire qui bénéficia de passe-droits et provoqua la tragédie du naufrage que l'on connaît et de ses suites.

Guizot était moins optimiste que Chateaubriand :
« Sous la Révolution on se battait ; sous l’Empire, on se taisait ; la Restauration avait jeté la liberté au sein de la paix. Dans l’inexpérience et la susceptibilité générale, le mouvement et le bruit de la liberté, c’était la guerre civile près de recommencer ».

   
                               Louis XVIII et sa femme Marie-Joséphine de Savoie

Louis XVIII a tenté tant bien que mal de naviguer entre les ultras et la réalité socio politique de son époque qui n'avait rien à voir avec celle de l’ancien régime. En fin politique, il est resté ferme sur les principes de souveraineté et sur l’étendue de ses pouvoirs tout en faisant une place aux acquis de la Révolution. En ce sens, il fut l’ultime espoir de la royauté française, son frère Charles X et le comte de Chambord étaient bien trop rigides et arcboutés sur les principes d’ancien régime pour pouvoir se maintenir longtemps au pouvoir ou simplement accéder au pouvoir.

Louis XVIII au contraire a ouvert sa Charte en faisant une place aux libertés, à l’égalité devant la loi et à la pérennité des biens nationaux, essayant de trouver un bon équilibre entre les pouvoirs du roi et les droits de la nation. 

         
Les enfants de Louis XVI et Marie-Antoinette : Louis XVII et Madame Royale


Mais l’ultraroyalisme eut toujours tendance à resurgir comme dans la volonté de bannissement des régicides où le comte de Béthisy prononça sa célèbre formule « Vive le roi quand même ! » dont s’emparèrent les ultraroyalistes qi revendiquaient le droit "d’être plus sévères que le roi".

Leur action visait avant tout à épurer l’administration de tout républicain, à redonner toute sa place à l’Église en lui confiant de nouveau par exemple l’état-civil et à faire voter des mesures en faveur de la grande propriété, comme l’écrivait Chateaubriand en 1820, « (…) les vertus politiques tiennent au sol et elles croulent si le sol tremble sous les pieds des grands propriétaires. »


Confidence de Louis XVIII au duc de Richelieu à propos de son frère le futur Charles X

Durant toute cette première période, la politique va balancer au gré des événements entre régime ultra et régime libéral. Le ministère Talleyrand, après avoir signé un nouveau Traité de Paris avec la coalition étrangère après les Cent-Jours, fut rapidement remplacé par le duc de Richelieu

Decazes, soutenu par le roi, convainquit le duc de Richelieu de dissoudre la chambre pour sauvegarder la Charte de 1814, ce qui sera effectif  en septembre 1816. Le régime connaîtra alors une période libérale sous le ministère Decazes, malgré des troubles dues à de mauvaises récoltes.

Plusieurs mesures libérales furent prises avec de médiocres résultats, comme la loi Lainé modifiant les procédures électorales pour limiter le rôle des ultras, la loi Gouvion-Saint-Cyr pourfaciliter l'avancement au sein de l'armée des soldats issus des classes populaires ou les lois de Serre qui desserrent son étau sur la presse.

         
La duchesse Marie-Caroline de Berry       La mort du duc de Berry


Coup de tonnerre en 1820 quand le duc de Berry, fils du futur Charles X, est assassiné. Dans ces cas-là bien entendu on se demande qui sont les commanditaires, ce que ne manque par de faire ce bon vicomte de Chateaubriand qui écrit :
«  La main qui a porté le coup n’est pas la plus coupable. Ceux qui ont assassiné monseigneur le duc de Berry sont ceux qui depuis quatre ans établissent dans la monarchie des lois démocratiques ; ceux qui ont banni la religion de ces lois ; ceux qui ont entendu agiter avec indifférence à la tribune la question du régicide ; ceux qui ont laissé prêcher dans les journaux la souveraineté du peuple, l’insurrection et le meurtre… Voilà les véritables meurtriers de monseigneur le duc de Berry»
Donc pour Chateaubriand , le coupable est la démocratie.


Les conséquences en furent importantes puisque cette affaire sonna la fin de la période libérale du régime. Un glissement progressif qui devait s'accentuer en 1924 avec la mort de Louis XVIII et l'avènement de Charles X.

        
Joseph comte de Villèle
Delacroix, La liberté guidant le peuple, représentation symbolique des Trois Glorieuses


Le duc de Richelieu est contraint de se rapprocher des ultras comme Villèle qui va rapidement le remplacer fin 1820. Dès lors, les libertés sont restreintes, l'administration est de nouveau épurée, le pays participe à la coalition qui va rétablir la monarchie espagnole mais dans le même temps, il assainit aussi les finances publiques.
Le régime se durcit, surtout après la mort de Louis XVIII comme le "milliard des émigrés" versé pour compenser les pertes dues aux Biens nationaux, les cérémonies expiatoires à la mémoire de Louis XVI, l'influence grandissante de l’Église (loi sur le sacrilège, puni de mort).

Après la tentative avortée de libéralisation du vicomte de Martignac, Charles X nomme Polignac qui organise une politique très réactionnaire combattue par une majorité de députés. Le roi dissout alors l'Assemblée.

Les quatre ordonnances de Saint-Cloud contenant notamment une nouvelle dissolution de la Chambre des députés, une modification de la loi électorale et la suspension de la liberté de la presse, qu'il signe le 25 juillet 1830 sont considérées par beaucoup comme un véritable coup d'état et vont rapidement aboutir à la révolution dite des
« Trois Glorieuses ».

      
Le prince Jules de Polignac          Le vicomte de Martignac


Repères bibliographiques
Document utilisé pour la rédaction de l’article  Emmanuel De Waresquiel, "C’est la Révolution qui continue !" La Restauration 1815-1830, éditions Tallandier, 450 pages, 2015, "Penser la Restauration", éditions Tallandier, 2020, "Talleyrand le prince immobile", Fayard 2003, "Fouché, les silences de la pieuvre", Tallandier 2014, "Cent Jours, la tentation de l’impossible", Fayard 2008
  Document utilisé pour la rédaction de l’article Éric Le Nabour, "Les deux Restaurations", Tallandier, Paris, 1992
  Document utilisé pour la rédaction de l’article Francis Démier, "La France sous la Restauration, 1814-1830", éditions Gallimard, 2012, 1095 pages


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