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Frachet
17 octobre 2019

Patrick Modiano, Encre sympathique

Référence : Patrick Modiano, Encre sympathique, éditions Gallimard, 2019

         
Encre sympathique
 ou le mystère de la chemise bleu

Son infinie quête de la mémoire… On plonge de nouveau avec lui dans les arcanes des rues de Paris, à partir d’un dossier bleu ou plutôt « d'une simple fiche dans une chemise à la couleur bleu ciel qui a pâli avec le temps ». Jean Eyben le narrateur se souvient, il y a maintenant trente ans, il travaillait comme détective privé dans une agence dirigée par un certain Hutte [1] et enquêtait sur la disparition d’une jeune femme Noëlle Lefebvre.

Sur elle, on sait peu de choses, une vendeuse de sacs chez Lancel dans le quartier de l'Opéra Garnier, une carte de retrait de son courrier. Jean Eyben tente de partir sur ses traces, de la rue de la Convention à la rue Vaugelas [2] en passant par le boulevard Brune, mais ne réussit qu’à recueillir quelques minces informations éparses et quelques noms.

        

Il poursuit son enquête à Annecy [3] puis à Rome où cette histoire va connaître un dénouement "à la Modiano". Comme toujours, Modiano brode sur le thème de l’identité au gré des rues de la capitale, de loges de concierges aux bistros de quartier.

Le mystère s’épaissit avec ces phrases de Modiano : « Et parmi toutes ces pages blanches et vides, je ne pouvais détacher les yeux de la phrase qui chaque fois me surprenait quand je feuilletais l’agenda : "Si j’avais su…" On aurait dit une voix qui rompait le silence, quelqu’un qui aurait voulu vous faire une confidence, mais y avait renoncé ou n’en avait pas eu le temps. »

           

À partir d’un entretien avec Patrick Modiano (extraits)

Si le processus de la mémoire intéresse tant Modiano et s'il le trouve si fascinant, outre le fait qu’il possède un grand pouvoir de suspense, c’est qu’il est double : « d’une part, un souvenir enfoui depuis longtemps, et qui refait brusquement surface, comme l’encre invisible qui apparaît sous l’effet d’un produit chimique ; d’autre part un souvenir désagréable qui semblait avoir été effacé avec le temps, et qui réapparaît comme un maître-chanteur, et nous montre que nous vivons à la merci de certains « silences » de la mémoire, mais que ceux-ci risquent de se rompre un jour ou l’autre. »
Il en profite pour tacler internet, cette prétendue mémoire du monde qui contient beaucoup de lacunes et avec qui « il faut trouver un moyen détourné pour obtenir la réponse. »

          

La mémoire a tendance à brouiller les pistes, à travers des personnages ordinaires, et le narrateur dans sa recherche de Noëlle Lefebvre, voulait rencontrer des témoins importants de sa vie dont elle se souvenait à peine.

Au début de la seconde partie, passer de Paris à Rome et du « je » au « il » correspond « au moment où tout se dévoile peu à peu, comme dans le phénomène de l’encre sympathique. »
Quant à la fin, elle semble plutôt "optimiste" même si la suite reste ouverte, « ce que suggère la dernière phrase : " Elle lui expliquerait tout"… qui laisse au lecteur la liberté d’imaginer. »

Le temps présent est bien l’axe essentiel : éclairé par le passé, il contient aussi l’avenir. Il agit comme un invisible filigrane écrit à l’encre sympathique, fils occultés par des données parasites, passés au tamis de la mémoire. Mais un grain de sable peut ramener des bribes au niveau de la conscience, illustrant leur puissance sur notre psychisme. Cette lucidité est à double tranchant en mettant à jour des éléments qui servaient de barrage à nos pulsions.    

           

Le challenge de Modiano, c’est d’avoir des objectifs ambitieux, une écriture exigeante au service d’une histoire accessible au public le plus large, des thèmes autour de la mémoire, de l'intuition, de l'identité et du temps où chacun peut se reconnaître.
« Il y a des blancs dans une vie, mais parfois ce qu'on appelle un refrain. » Qui paraît un temps oublié mais revient à l’improviste… « comme les paroles d'une chanson enfantine qui exerce encore son magnétisme. »

Comme toujours, il laisse l’action et ses personnages dans le flou et les différents points de vue ont tendance à prolonger les histoires tant les souvenirs sont épars, comme la cité romaine qui était « une ville qui avait le pouvoir d'effacer le temps, et aussi votre passé, comme la Légion étrangère. »

          Avec Catherine Deneuve

Notes et références
[1] Personnage qu’on a déjà croisé dans son roman « Rue des boutiques obscures » .
[2] Qu’on retrouve dans « L'Horizon », un autre de ses romans.
[3] Où se situe son roman « Villa Triste ».

Voir aussi
* Mes fichiers de La Catégorie Modiano --
* Cédric Méletta, Diaboliques, Sept femmes sous l'Occupation, éditions Robert Laffont, février 2019 --

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