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Frachet
4 octobre 2019

Irène Frain, Je te suivrai en Sibérie

Référence :  Irène Frain, Je te suivrai en Sibérie, éditions Paulsen, 480 pages, septembre 2019 

          

« Je sentais en moi des forces surnaturelles et une détermination extraordinaire à surmonter tous les obstacles. »  Souvenirs de Pauline Annenkoff

Irène Frain aime les destins de femmes, surtout s’ils sont singuliers, s’ils concernent des femmes au tempérament bien trempé. Elle s’est déjà colletée à ce genre d’héroïne à travers des biographies de Simone de Beauvoir (Beauvoir in love) et Marie Curie (Marie Curie prend un amant).

Cette fois, c’est une héroïne moins connue qui a attiré son attention mais dont le destin n’en est pas moins exceptionnel. Pauline Gueble, une petite lorraine vouée à une existence médiocre, va partir, voyager jusqu’à Moscou pour y découvrir un amour qui va désormais régenter toute sa vie. Elle va aussi, fasciner deux seigneurs de la littérature, Dostoïevski et Dumas, ce qui n’est pas rien ! 

      Pauline et Yvan Annenkov


Pas étonnant qu’Irène Frain soit partie sur ses traces jusqu’au fin fond de la Russie,à travers le Journal que Pauline Gueble a dicté à sa fille, à la recherche de cette femme si exceptionnelle par son courage (ou son aveuglement, comme on voudra), portée par une passion amoureuse hors du commun.

À Saint-Pétersbourg, Pauline Gueble tomba  amoureuse d’un riche aristocrate. Ivan Annenkov, admirateur de la France et adversaire du servage, membre des décembristes que le tsar déporta en Sibérie. Comme neufs femmes de condamnés (qu’on nommera la bande de Tchita) obtint du tsar l’autorisation de rejoindre son futur mari dans son exil sibérien.

        

La bande de Tchita, nom de la localité où ils étaient assignés, parvint si bien à soutenir les exilés qu’elle arriva à créer, derrière les murs de leur prison, une mini république à la française...

Pauline Gueble vient d’une famille royaliste ruinée qui se retrouve vendeuse dans un magasin de mode. Elle part pour la Russie et pour elle l’aventure va commencer. Le bel aristocrate qui la courtise finira en Sibérie où elle s’empressera de le rejoindre dans un village sans charme, son pénitencier de dizaines de maisons en rondins et son église en bois. Leur mariage fut à cette image : « On amena, chargés de fers, le fiancé et ses deux camarades… On leur enleva les fers dans la galerie close. La cérémonie fut brève, le prêtre se dépêchait, il n’y avait pas de chantres. À la fin de la cérémonie on remit les fers à tous trois, c’est-à-dire au mari et aux garçons d’honneur, et on les ramena à l’ostrog ».

          

Ivan Annenkoff avait de quoi la séduire : Bel homme costaud, très instruit, il fut nommé lieutenant d’un régiment de chevaliers-gardes, formation d’élite privilégiée, riche, ce qui ne gâche rien, il finira par rejoindre les rangs des conjurés, incité par les parole de son chef qui l’encourage ainsi : « Il faut être prêt à sacrifier son sang et ne pas épargner celui que la société ordonnera de verser. »

Puis ce fut la journée du 14 décembre 1825 qui sonna la fin de leurs illusions. Puis après l’arrestation, ce furent les terribles interrogatoires, les confrontations, les menaces de la justice, sept mois dont Ivan dira qu’il avait été « placé vivant dans une tombe. » C’est alors que Pauline, qui vit à Moscou, vendeuse d’articles de mode chez Dumancy, et qui venait d’avoir une fille d’Ivan, décida d’aller rejoindre son grand amour dans ce "Goulag" avant la lettre où avec ses compagnes, elle fit preuve d’un courage remarquable, parfois inhumain. [1]

Malgré la vie très difficile qu’elle a eue dans cette région inhospitalière, les privations, la misère, lorsqu’elle évoque les années d’exil, elle n’a retenu que la solidarité indéfectible qui les unissait : « Tout était en commun, les joies et les peines, tout était partagé, nous nous marquions mutuellement nos sympathies. Nous étions tous unis par une amitié étroite… »

           

Le couple eut la chance de survivre et de bénéficier d’une amnistie au bout de trente ans. Interdits de résidence à Moscou et Saint-Pétersbourg, ils s’installent à Nijni-Novgorod et continuent leur combat, lui qui nourrit toujours comme il dit « une haine ancienne de l’esclavage », contre l’esclavage des paysans, sillonnant le pays pour expliquer son action. Malgré des difficultés physiques, il poursuit ses efforts, constamment soutenu par Pauline qui est toujours fidèle à elle-même, un caractère qui « prenait constamment le dessus, en dépit de toutes les épreuves, de tous les malheurs ».
Sept de ses enfants lui survivront et elle meurt en 1876 à l’âge de 76 ans, Yvan la rejoindra l’année suivante.

Notes et références
[1]
Une autre française eut un destin comparable : Camille Le Dantu, fille d’une gouvernante de la famille du décembriste Ivachev, qui elle aussi partit le rejoindre en exil.

Voir aussi 
* Le roman historique : l'article d'Irène Frain, Les naufragés de l'île Tromelin --
* Lou : l'histoire d'une jeune femme insaisissable et de son suicide --
* Secret de famille : l'histoire pernicieuse d'un héritage--

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