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Frachet
2 septembre 2019

Paule Constant et la famille

      

Paule Constant a toujours gardé un amour particulier pour les Hautes-Alpes même si elle a passé une partie de sa jeunesse hors de la France. Longtemps sa famille a possédé une maison à Fort-Dauphin et son grand-père avait été en garnison à Embrun près du lac de Serre-Ponçon et résidait alors au château de la Robeyière.

Ceci explique sans doute pourquoi la famille et les relations enfants-adultes représentent  le thème dominant de son œuvre.  Dans son roman Ouregano écrit en 1980, Tiffany une fillette tente sans grand succès de pénétrer « un monde clos et parfait qui l’avait peut-être engendré mais où elle n’avait ni place ni amour. » Son père le capitaine Michel Murano est un soldat qui a combattu en Afrique, sa mère Mathilde une petite bourgeoise égoïste. Tiffany comprend vite qu’elle n’a pas de place entre eux et qu’il vaut mieux ne jamais « se mettre en travers de la vie de ses parents. » Elle devient peu à peu « une petite fille invisible. »

               

Elle se met à détester sa mère, à éviter son contact et fait une fugue qui va précipiter son renvoi en métropole. Dans Propriété privée publié l’année suivante, Tiffany est pensionnaire dans une institution religieuse tenue par les « Dames sanguinaires ». Heureusement ses grands-parents, les Désarmoise, habitent non loin et lui prodiguent l’affection dont elle a toujours manqué.
 Mais au décès de la grand-mère, Mathilde rentre d’Ouregano et pour l’adolescente, l’embellie n’aura été qu’une parenthèse.

Paule Constant écrira en 1994 La fille du Gobernator, une histoire similaire sur bien des aspects, la vie d’une fillette de sept ans, Chrétienne,  qui part à Cayenne avec ses parents où son père a été nommé gouverneur du bagne. Ils forment un couple improbable, sans doute traumatisés par le massacre d’Ypres pendant la guerre, ils vivent dans le passé, lui « un preux » et elle une « Sainte du Moyen Age ». Tiffany deviendra une rebelle, faisant toutes des bêtises qu’elle pourra, tour à tour souffre-douleur et chipie, faisant tout pour se faire détester.

                   

Sauvée par la compassion d’un infirmier, elle reviendra en France à la mort de ses parents, alors que, comme dit un personnage, « la violence des destins camoufle la débilité des individus. »

À y regarder de plus près, on trouve dans ses romans des notations, des références autobiographiques, par exemple dans La fille du Gobernator, sa connaissance de Cayenne où elle a vécu plusieurs années, la grand-mère de Propriété privée qui évoque sa propre grand-mère haute-alpine ou l’Émilie-Gabrielle, l’héroïne du Grand Ghâpal, prénom de cette même grand-mère.

      

Son roman Le Grand Ghâpal, né de sa thèse de doctorat consacrée à « l’éducation des filles de l’aristocratie (XVIè-XIXè siècle) »  [1], raconte l’histoire d’Émilie-Gabrielle qui, au XVIIIè siècle,  se rend auprès de sa tante Sophie-Victoire, abbesse à Paris. Cette dernière a des méthodes très personnelles d’envisager son rôle et d’aspirer à la sainteté, [2] transmettant à sa nièce avant de mourir Le Grand Ghâpal , le fameux bijou symbole du pouvoir de l’abbesse.

Ce roman renvoie à Propriété privée en ce sens que Sophie-Victoire est le négatif exact des "Dames sanguinaires". Sophie-Victoire est une espèce de Tiffany mourant d’ennui dans sa pension, s’y serait au contraire épanouie.

Paule Constant a aussi pris pour cadre romanesque l’Afrique où elle a vécu. Balta se déroule dans une grande ville africaine. C’est l’histoire d’un enfant noir et d’un coopérant français que tout devrait séparer mais qui finiront par se rejoindre. « C’est un livre, dit l’auteure, sur les Blancs qui croient diriger les affaires en Afrique et qui en fait ne dirigent rien du tout. »

     

White spirit quant à lui met en scène un jeune homme assez naïf qui découvre l’Afrique avec stupéfaction : rôle hégémonique des grandes sociétés avec exploitation des populations locales, colonialisme paternaliste, richesses pillées, mais aussi des gens exubérants difficiles à comprendre, des odeurs fortes de fruits pourris…

« De l’Afrique, écrit-elle, j’ai pris toutes mes couleurs, toutes mes odeurs, toues mes non-saisons, toute mon enfance et c’est ainsi… »

Il y a entre ses romans des connivences, des jeux de miroirs, des thèmes qui reviennent en écho, des personnages qui vont et viennent d’un livre à l’autre.

Notes et références
[1]
Déclinée en version grand public sous le titre "Un monde à l’usage des demoiselles", Grand prix de l’essai de l’Académie française.

[2] « Qui n’a pas à votre âge, dit-elle à sa nièce, connu tous les jeux devient une mauvaise abbesse, qui n’a pas ri à gorge déployée devient une méchante femme,  qui n’a pas sauté à la corde restera raide… Il faut vous fortifier dans la joie ! »

Bibliographie
* Ouregano et Propriété privée, éditions Gallimard, 1980-1981, Le Grand Ghâpal, 1991
* Balta, 1983 et White spirit, 1989, éditions Gallimard
* La fille du Gobernator, éditions Gallimard ; 1994
* Un monde à l’usage des demoiselles, éditions Gallimard

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