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Frachet
16 mai 2019

Orhan Pamuk, La femme aux cheveux roux

Référence : Orhan Pamuk, La femme aux cheveux roux, éditions Gallimard, traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy, 304 pages, 2019

    

Entre Orhan Pamuk et Istanbul, c’est le grand amour. Du « Musée de l’Innocence » à « Cette chose étrange en moi », son roman précédent, la ville est souvent présente dans son œuvre. Aucun lieu commun dans ses descriptions, il présente une ville de résurrection qui se réveille après un long sommeil, la vie de ses quartiers anciens, l’horizon somptueux du Bosphore, de la Corne d’Or et la mer de Marmara, malgré ses banlieues tentaculaires, ses autoroutes urbaines et tours modernes.

Plein feu sur Cem, un adolescent plutôt gringalet. Son père, pharmacien et anarchiste, est parti ou a disparu, on ne sait trop, Pamuk laisse la porte ouverte. Lui aussi va partir, pour travailler sur le chantier de construction d’un puits, son patron comme nouveau père, amoureux d’une actrice aux cheveux roux qui pourrait être sa mère, membre d’une troupe de comédiens ambulants. «  Nous avons tous plusieurs pères dans ce pays : la patrie, Dieu, les militaires, les chefs de la mafia…Personne ne peut survivre sans père ici » écrit l'auteur.

               

Cette fois, ce n’est pas un jeune homme pauvre et naïf comme Mevlut dans « Cette chose étrange en moi » mais un ado issu de la bourgeoisie, abandonné par son père. Il se sent comme « un ruisseau sans source » et c’est sans doute pour ça qu’il décide de partir avec un puisatier, maître Mahmut, à quelque 50 kilomètres d’Istanbul. Pendant plusieurs semaines, ils vont vivre à la belle étoile, se raconter des histoires, surtout celles des deux meurtriers Œdipe et Rostam [1]« Dans la nuit noire et lugubre d’Öngören, vieux livres, légendes, images anciennes et antiques civilisations luisaient d’un éclat si lointain ...  » écrit-il à ce propos.
Il vont aussi creuser sans cesse mais en vain pour trouver l’eau convoitée. Las d’attendre, il abandonne la partie.

Cem, devenu ingénieur géologue, ne peut avoir d'enfant avec sa femme  dont ils comblent l'absence en recherchant dans les archives des témoignages sur le Livre des rois, l’histoire de Rostam et de son fils Sohrâh. Ils créeront d'ailleurs leur entreprise q'ils appelleront Sohrâh.

Vingt-cinq ans plus tard, devenu un promoteur aisé, Cem va revenir dans le village d’Öngören désormais happé par la ville où Cem va être rattrapé par son passé à cause de calomnies contre son père et d'une exposition jugée trop fastueuse.

                   

La belle aventure de Cem va prendre fin quand survient un accident sur le chantier du puits. Le jeune homme, le cœur lourd, ne peut que retourner à Gebze auprès de sa mère, toujours pris par son admiration pour Mahmut, ce père de remplacement, et son amour pour Gülcihan, la femme aux cheveux roux.
Mais le destin a de ces retournements dont il a le secret et qui saura se rappeler aux bons souvenirs de Cem.

Histoire de filiation sans doute puisque Cem a un goût prononcé pour l’histoire dŒdipe, au point de le faire sien, de l’inclure dans sa vie quotidienne. Cem sera contraint de fuir, cette fois pour une longue cavale de trente ans. Si ce puits fatidique contient la vérité, il contient aussi des sentiments négatifs comme la peur et le désir d’oublier, mais aussi un besoin de liberté, le doute et l’espoir de résilience.

        
La famille Pamuk

On pense aussi bien sûr aux intellectuels turcs déboussolés par les errances, les tribulations actuelles de leur pays. Orhan Pamuk a écrit ce roman peu de temps avant le coup d’Etat manqué de juillet 2016 contre le président Erdogan, qui a servi de prétexte aux grandes purges qui ont ensuite marqué la Turquie. [2]


La femme aux cheveux roux :
Dante Gabriel Rossetti, La Ghrirlandata

La belle et affriolante femme aux cheveux roux apparaît bien comme l’exemple parfait des individus auxquels le régime actuel veut s’en prendre pour pouvoir lutter contre l’art contemporain. Il faut donc voir dans ce roman, non seulement un regard acerbe et sans concession de l’auteur sur ces années d’oppression, mais aussi un questionnement sur la filiation et l’identité, pour mieux revenir à la métaphore du puits creusé dans les arcanes du possible.

         
Son livre sur Istanbul                   Orhan en train de dessiner

Cette belle rousse est certainement le symbole de la société turque des années 1970-80, une société de liberté si différente de la société actuelle autoritaire et affairiste, dominée par le dogmatisme religieux. La mémoire est ambivalente, les plus doux souvenirs côtoient  souvent les plus difficiles à supporter. C’est ainsi qu’on peut comprendre la signification de ces histoires édifiantes dont certaines datent de deux mille ans, qui sont  devenues des mythes ancestraux.
Simplement parce qu’ils sont récurrents.

Notes et références
[1] Son roman transpose à la fois le mythe grec d’Œdipe, le Grec qui tua son père, et celle de Rostam qui, dans le « Livre des rois » du poète persan Ferdousi, poignarde son fils Sohrâb, dans la Turquie actuelle à travers l’histoire de Cem, un promoteur qui s’aperçoit qu’il a bâti sa vie sur du sable.

[2] Après ses prises de position sur le génocide arménien ou la question kurde qui ont hérissé les nationalistes turcs, Pamuk a aussi, depuis cette tentative de coup d’État, dénoncé la vague de répression qui s’est abattue surtout sur les écrivains et les journalistes.

 Voir aussi mes fiches
* Présentation d'Orhan Pamuk -- Cette chose étrange en moi --

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