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Frachet
7 mai 2019

Régis Debray, un été avec Paul Valéry

Référence : Régis Debray, un été avec Paul Valéry, éditions Équateurs, collection Parallèle, 176 pages, avril 2019

       

« J’ai voulu décongeler sa statue. » Régis Debray. [1]

Après Proust, Montaigne, Baudelaire, Hugo, HomèreFrance Inter a continué en 2018 sa série d’ « Un été avec ». Cette année, c’est Paul Valéry que nous présente Régis Debray.

       
                                                 Paul Valéry (à droite) en compagnie du poète Reiner Maria Rilke

En 31 « interventions » (des émissions diffusées sur France Inter en 2018), Régis Debray parcourt l’homme Paul Valéry et son œuvre. [2] Il le fait à sa façon, avec une approche tout en finesse et l’érudition qu’on lui connaît. C’est ainsi qu’il nous permet de redécouvrir un écrivain bien oublié, comme dans ces quelques vers :

« Douces colonnes, aux
Chapiteaux garnis de jour,
Ornés de vrais oiseaux
Qui marchent sur le tour,
Douces colonnes ô
L’orchestre de fuseaux !
Chacun immole son
Silence à l’unisson. » Charmes, 1922 - Cantique des colonnes [3]

       
Un été avec Paul Valéry, avec Montaigne, avec Baudelaire

Entre Paul Valéry et Régis Debray, c’est une longue intimité qui les lie. Déjà rappelle Debray, Le Cimetière marin l’avait accompagné dans sa prison bolivienne en 1967 où, pour mieux supporter sa détention, il se récitait de longues tirades de ce poème : « En 1967, j’étais enfermé dans une petite cellule de deux mètres sur deux. Je récitais chaque jour quelques vers du Cimetière marin qui surnageaient dans ma mémoire, confie-t-il. J’évoque donc Valéry par fidélité à celui qui m’a soutenu. »

    
                                     Régis Debray avec Salvador Allende
C'est en tout cas une bonne occasion de  rafraîchir nos souvenirs puisés dans l’œuvre de ce penseur et de ce poète réputé aride.

« Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d'être et de n'être pas,
Car j'ai vécu de vous attendre,
Et mon coeur n'était que vos pas. » Paul Valéry Les pas --

On peut dire que Paul Valéry (1871-1945) fait partie de ces écrivains d’une autre époque, un grand écrivain dont la plupart des gens ont beaucoup de mal à citer ses œuvres principales. On a largement oublié qu’il fut un auteur aussi connu et reconnu, aussi important que ses contemporains Gide, Bergson ou Giraudoux. Il eut droit à des funérailles nationales, son catafalque exposé sous l’arc de triomphe et l’on sait qu’il goûtait fort son statut et aimait particulièrement les honneurs.

      

« Le poème, cette hésitation prolongée entre le son et le sens. » Paul Valéry

Régis Debray distingue « deux Paul Valéry : celui des petits classiques illustrés [...] et le sacripant drolatique, l'anar espiègle, le gamin salace aux mauvaises pensées, "l'esprit le plus méphistophélique de notre littérature", sans parler du coureur et du farceur. Oui, cela fait deux en un : le bienséant et le frondeur, l'homme d'institution et "l'irréconcilié". »

Son côté austère, on le retrouve dans sa capacité de travail, dans une vie rangée avec sa femme et ses deux enfants, même s’il eut une liaison avec la très mondaine Catherine Pozzi. Il voyageait peu, avait peu d’amis véritables, sauf le peintre Edgar Degas, l’écrivain Pierre Louÿs et André Gide avant leur brouille. Ce que Régis Debray appelle un « ascétique renonçant. ».
Mais il eut aussi son côté brillant, aimant les femmes et la vie en société, conscient de sa place majeure chez les écrivains de son époque, amateur de musique et de peinture. [4]

             

Il professa une certaine méfiance vis-à-vis de l’histoire, « L’histoire justifie ce que l’on veut… » a-t-il écrit, et cet européen convaincu vécut les deux guerres mondiales comme un fléau absolu. Peu avant sa mort en 1945, il écrivit ces phrases prophétiques : «  (L’Europe) vient de perdre sa domination séculaire sur l’ensemble du monde (…) il y a lieu de se demander, et ceci dans toute l’étendue de l’univers spirituel, si la continuité de la civilisation occidentale pourra être assurée et en particulier celle de la civilisation méditerranéenne, et si nous ne sommes pas arrivés à quelque état de décadence analogue à celui qui a atteint les civilisations successives dont nous parle l’Histoire. »
Déjà en 1927 n’avait-il pas écrit : « L’Europe aspire visiblement à être gouvernée par une commission américaine. Toute sa politique s’y dirige ». Il fut comme dit Régis Debray « un lanceur d'alerte ».

           

En complément :

Les meilleures citations de Paul Valéry
* « L’homme moderne est l’esclave de la modernité : il n’est point de progrès qui ne tourne pas à sa plus complète servitude. » (Regard sur le monde actuel)
* « Le monde moderne a remplacé l’imagination par l’image. »
* « L’amour consiste à être stupide ensemble. »
* « Patauger, quelquefois c’est aussi faire bondir deux ou trois gouttes de lumière. »
* « La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regardent. »
* « La jeunesse est un temps pendant lequel les conventions sont, et doivent être mal comprises : ou aveuglement combattues, ou aveuglément obéies. (Monsieur Teste)
* « Traduire, c’est produire avec des moyens différents des effets analogues. » 
* « Les bons souvenirs sont des bijoux perdus. »
* « La meilleure façon de réaliser ses rêves est de se réveiller. »
* « Parfois je pense et parfois je suis. »
* « Le bonheur est la plus cruelle des armes aux mains du temps. »
* « Ma modestie est grande. Quand elle se hausse sur les pointes, elle arrive presqu’au nombril de mon orgueil. »
* « La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. »
* « La mémoire est l’avenir du passé. »
* « Prenons garde d’entrer dans l’avenir à reculons. »
* « La plus grande liberté naît de la plus grande rigueur. »
* « Une mauvaise expérience vaut mieux qu’un bon conseil. »
* « Le poète se consacre et se consume à définir et à construire un langage dans le langage. »
* « Ce qui m’intéresse m’est pas toujours ce qui m’importe. »
* « Le mensonge et la crédulité s’accouplent et engendrent l’opinion. »

Notes et références
[1] « J’ai voulu ranimer, décongeler sa statue, aller au-delà d’un nom célèbre pour révéler un homme que l’on connaît peu. »
[2]
Un été avec Paul Valéry, du lundi au vendredi à 7.55, sur France Inter pendant 5 mn. Réalisateur : Xavier Pestuggia. Lectures par Laurent Stocker et Yaël Elhadad.

[3] Introduction au poème : « L'harmonie des colonnes grecques née de rapports mathématiques définit une esthétique poétique fondée sur des règles. Elles font penser à des voix chantant à l'unisson. »
[4]
Sa vision de la peinture : « La peinture permet de regarder les choses en tant qu’elles ont été une fois contemplées avec amour. »

Voir mes fiches :
+ Antoine Compagnon, Un été avec Baudelaire --
+ Patrick Boucheron, Un été avec Machiavel --
+ Régis Debray, Un été avec Paul Valéry --
+ Paul Valéry, le visionnaire --
Voir aussi :
+
Le cimetière marin -- La dormeuse --

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