Référence : Georges Duby, Sur les traces de nos peurs, éditions Textuel, 141 pages, 1995

Georges Duby traite du thème de la peur sous plusieurs éclairages, vis-à-vis de la misère, de l’autre, des épidémies.
Les gens qui vivaient il y a huit ou dix siècles n’étaient ni plus ni moins inquiets que nous, écrit Georges Duby. Angoissés par leur survie mais fascinés par l’étranger, violents mais solidaires, menacés par les épidémies et familiers de la mort, les hommes du Moyen Âge vivent les crises les plus tragiques.

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Les peurs s’enchaînent, qu’elles soient liées à la nature humaine ou à la nature tout court. C’est à partir de nos peurs contemporaines que Georges Duby se penche sue celles du Moyen Âge qui singulièrement apparaissent comme les symptômes d’un monde en progrès. Et ce ne sont pas tant les similitudes que les différences qui sont riches d’enseignements. Ainsi la solitude qui accompagne la misère actuelle était inconnue pour nos ancêtres de l’an mil.

 « À quoi bon écrire l’Histoire, écrit Georges Duby dans sa préface, si ce n’est pas pour aider ses contemporains à garder confiance en leur avenir et à aborder mieux armés les difficultés qu’ils rencontrent quotidiennement ? L’historien par conséquent a le devoir de ne pas se renfermer sur le passé et de réfléchir assidûment sur les problèmes de son temps.
Ce que ces hommes et ces femmes croyaient, leurs sentiments, comment ils se représentaient le monde, l’Histoire telle qu’on l’écrit aujourd’hui s’efforce de le découvrir, de pénétrer dans l’esprit d’une société pour qui l’invisible était aussi présent, aussi digne d’intérêt, détenait autant de puissance que le visible. C’est en cela surtout qu’elle s’écarte de la nôtre. Explorer les mentalités d’hier, discerner les différences mais aussi les concordances entre ce qui lui faisait peur et ce que nous redoutons peut nous permettre d’affronter plus lucides les dangers d’aujourd’hui. »

L’historien Georges Duby s’exprime ici sur le mode de l’entretien dans un ouvrage où les illustrations rendant encore plus concrètes les craintes et l’imaginaire de l’homme médiéval.
Étudier et écrire l’Histoire pour découvrir la volonté divine, c’est l’ambition des gens d’église qui consignent dans des annales les inquiétudes des hommes devant les dérèglements de la nature. Pour eux, le monde a un âge que les textes saints permettent de calculer et l’Apocalypse annonce la fin du monde.
( Voir par exemple l’Apocalypse de Jean représentant les fléaux s’abattre sur l’humanité dans la cathédrale de Gérone)

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La peur de la misère
En l’an mil, le dénuement est général donc supportable. Mais à partir du XIIe siècle, la misère frappe plus sévèrement une bonne partie de la population. La société médiévale, très dure, est cependant largement fraternelle. On le voit dans le nombre d’œuvres caritatives dirigées par l’Église et la solidarité villageoise. Dans les drames, dans l’affliction, on s’entraide, on "se serre les coudes".

L’équipement agricole de l’an mil (au moins 90 % de la population) est dérisoire. On laboure avec des araires en bois durci au feu. Au XIe siècle, l’usage du fer et des charrues se répand et entraîne l’augmentation du rendement des terres.  L’innovation est un facteur qui apparaît comme essentiel. L’essor des populations rurales fait qu’une partie va s’installer dans les villes, cet afflux  va provoquer une vague de paupérisation vers le XIIe siècle, inconnue jusque-là. 

Pour l’héberger, on construit en bois, les matériaux nobles comme la pierre étant réservés au culte et aux plus riches. Mais peu à peu, le maçon supplante le charpentier ; on construit plus souvent en brique en réalisant le matériau directement sur le chantier. Entre l’an mil et l’an 1300, la population a sans doute été multipliée par trois.
De cette détresse naît un nouveau christianisme, celui de François d’Assise, prédécesseur lointain des prêtres-ouvriers et de l’abbé Pierre.

         

La peur de l’autre
Au temps de Saint-Louis, les hordes surgissant de l’Est provoquent terreur et angoisse dans le monde chrétien. La peur de l’étranger étreint à nouveau les populations. Pourtant, l’Europe avait su digérer et intégrer les pillards normands. Ces invasions avaient estompé les frontières entre le monde païen et la chrétienté et stimulé la croissance économique. L’Europe, alors terre juvénile, en pleine expansion, s’est étendue aux quatre points cardinaux, se tournant volontiers vers les cultures extérieures.

Comme les Vikings et les Hongrois, les musulmans (ou Sarrasins) installés depuis deux siècles en Espagne, ont envahi l’Europe carolingienne. Leurs premières incursions en Méditerranée se sont produites entre 806 et 812 et ils conservèrent la Sicile jusqu’à la fin du XIIe siècle.
Une situation fort différente maintenant où le Vieux Continent a peur de la misère du monde pour mieux préserver ses richesses. Si l’homme médiéval craint d’abord le païen, le musulman et le juif, les infidèles à convertir ou à détruire, il se méfie aussi de ses voisins, celui du village d’à côté. Par exemple, on peut voit sur le portail de Vézelay les peuples du bout du monde, en particulier ceux dont la chrétienté redoutait l’invasion.
Certains monarques comme Alphonse le sage de Castille ou l’empereur Frédéric II, également roi de Sicile, accueilleront dans leur royaume juifs et musulmans. Les chrétiens d’Europe installés en orient et les indigènes musulmans apprirent au fil des années à mieux se comprendre et à vivre ensemble.

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La peur des épidémies
C’est le feu du mal des ardents qui brûle les populations de l’an mil. Une maladie inconnue qui provoque une immense terreur. Mais le pire est à venir : la peste noire ravage l’Europe et fauche le tiers de sa population durant l’été 1348. Comme le sida pour certains, cette épidémie est vécue comme une punition du péché. Alors, on cherche des boucs émissaires, on accuse des juifs et des lépreux d’empoisonner les puits.

Dans ce contexte, les villes se replient sur elles-mêmes, repoussant les étrangers. La mort rode partout, dans la vie, dans l’art ou la littérature. Une autre maladie la lèpre, fait peur, considérée comme tant le stigmate de la déviance sexuelle ; sur leur corps déformé se refléterait la pourriture de leur âme. C’est pourquoi on les isole, on les enferme, rejet qui par certains côtés évoque certaines attitude contemporaines à l’égard du sida.
Face à ces pandémies, on était désarmés, même Hippocrate affirmait qu’il fallait allumer des grands feux dans les rues pour chasser les miasmes pestilentiels, Dante dans la Divine comédie en donnait une terrible vision, « j’en vis deux… tout tavelés de croûtes…rencroissant les morsures de ses ongles sur soi, pour la grand rage dont leur peau sans merci est démangée.

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La peur de la violence
La société médiévale vit, meurt et s’amuse dans une brutalité ambiante. Les paysans aiment que les chevaliers partent dans de lointaines croisières ou s’entretuent dans les nombreux tournois, fatigués de les voir piller leurs récoltes ou rançonner leurs villages.  Ces bandes de routiers, de chevaliers, souvent jeunes nobles contraints à l’aventure pour survivre, représentent en fait la première cause d’insécurité de l’an mil. Ils sèment la terreur dans les campagnes et on les considère comme les agents du démon.


L’Église tente, avec plus ou moins de bonheur, de les récupérer pour qu’il l’aide à prêcher la paix, instituant "la paix de dieu" pour limiter l’activité militaire. Mais, de toute façon, rien à voir avec les holocaustes contemporains de Verdun ou de Stalingrad.

Elle prône aussi pour un environnement plus pacifié et on peut voir par exemple à Clermont-Ferrand (chœur de Notre-Dame du Port) des chevaliers luttant pour la charité contre l’avarice. Elle bénit l’épée du chevalier déposée sur l’autel en lui faisant promettre de toujours brandir son arme au service de la justice.

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La peur de l’au-delà
Quand tout le monde croit en l’au-delà, la mort n’est qu’un passage célébré en une cérémonie très formatée. Au Moyen Âge, les gens sont persuadés qu’il suffit d’attendre la résurrection, tout se continuant dans l’éternité. Mentalité de plus en plus étrangère à notre époque.  La solidarité villageoise qui avait lieu à ce moment, disparaît de plus en plus pour  une relation à la mort plus guère médiatisée par la mémoire.
Le côté positif de l’enfer est qu’il apparaît comme l’instrument d’une justice immanente compensant les iniquités terrestres, tel que le suggère des chapiteaux de Saint-Pierre de Chauvigny vers Poitiers où on peut voir Le monstre avalant un homme ainsi que Le diable et son autel.  

Les hommes de ce temps-là redoutaient le jugement,  le châtiment, les tourments de l’enfer, une peur de l’invisible, remplacés aujourd’hui par une relation méfiante au destin et un certain sentiment de viduité liée à une apocalypse fantasmée en bang nucléaire.
Plus de liens entre les vivants et les morts avec l’espoir d’une rédemption, de recours à la grâce divine comme l’Arche de Noé l’illustrait, plus de Purgatoire.

<<  Christian Broussas – Georges Duby - 10/10/2016 < • © cjb © • >>