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Frachet
4 août 2018

Édouard Louis, Qui a tué mon père

Référence : Édouard Louis, Qui a tué mon père, éditions Le Seuil, collection Cadre rouge, 96 pages, mai 2018

 

Édouard Louis poursuit sa réflexion sur la violence, le thème essentiel de ses écrits, qu’on retrouve dans les deux textes qu’il a déjà publiés. Cette fois, il ne règle pas seulement des comptes avec son père mais avec une société qui a pu engendrer un être aussi démuni qui n’a su que retourner contre lui cette indignité qu’il ressentait.

Si au début du livre on ne peut que constater que son père était une ordure, on comprend aussi qu’il n’est qu’un exemple, qu’un symbole parmi des millions de ses semblables. Quelle que soit leur sensibilité, ils sont le produit d’une vie sans avenir, où la dignité se perd dans la misère et  l’alcool, où justement, tout n’est supportable qu’à la condition de se perdre.

                

La violence qu’ils ont intégrée, parfois sous forme d’auto violence ou de vengeance froide, s’explique en fin de compte par des choix politiques sur lesquels bien sûr ils n’ont aucune action. L’auteur rappelle les décisions qui de Chirac à Macron en passant par Hollande, ont rendu les pauvres, par exemple les victimes d’accidents du travail comme son père, de plus en plus vulnérables, quand le RMI devient RSA quand on ampute les prestations sociales, quand on rogne les droits des travailleurs. Pour lui, ceux qui ont peu à peu tué son père, ce sont « Hollande, Valls, El Khomri, Hirsch, Sarkozy, Bertrand, Macron. L’histoire de ta souffrance porte des noms. L’histoire de ta vie est l’histoire de ces personnes qui se sont succédé pour t’abattre (…) L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique. »

Mais que sont ces personnages, aussi importants soient-ils, au regard des forces régissent nos sociétés, du déséquilibre des rapports sociaux et des logiques d’exploitation relayées par les stratégies patronaux et les faiseurs d’opinion médiatiques.

On n’est pas loin du" tout est politique". Mais il s’agit ici de vécu, pas d’une analyse d’intellectuel, aussi savante soit-elle.
 
C’est dans cette logique qu’il répondra par ces phrases cinglantes : « Mon livre s'insurge contre ce que vous êtes et ce que vous faites. Abstenez-vous d’essayer de m’utiliser pour masquer la violence que vous incarnez et exercez. J’écris pour vous faire honte. J’écris pour donner des armes à celles et ceux qui vous combattent. »

                

Il ne peut y avoir d’absolution ni même de dialogue. Pour la honte, il est sans doute naïf mais en tout cas pour le pouvoir en place, irrécupérable. Au-delà de l’aspect pamphlétaire de son essai, il considère qu’un homme n’est pas seulement la somme de ses actes, il est aussi le produit de ses échecs, de ce qu’il n’a réussi à faire ou à devenir, d’actes aussi bien réussis que  manqués.

Ce livre d’expérience et de témoignage, incarne une vie, celle de son père, comme il en existe beaucoup, avec son lot de rares plaisirs mélangés aux difficultés du quotidien, aux désillusions et aux dérives personnelles.
Comme si la faillite du collectif entraînait pour les plus fragiles la faillite personnelle.

Édouard Louis remarque que les possédants sont peu soumis aux décisions politiques et peuvent ainsi de voir les choses avec un certain recul, les considérer comme une espèce de  jeu, alors que pour les pauvres, un gain ou une perte de pouvoir d’achat sont vitaux pour leur quotidien. Sa démarche peut aussi s’analyser comme un effort pour considérer son père autrement, tout au long de son parcours pour mieux le comprendre et mieux accepter ses fragilités.

             

Voir aussi
* Édouard Louis (sous la direction de), Pierre Bourdieu, l’insoumission en héritage,

* Édouard Louis, Histoire de la violence, éditions Le Seuil, 240 pages, 2016

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