Pour  la commémoration du trentième anniversaire de Tchernobyl.

  Svetlana Alexievitch

Référence : La supplication, télé-film documentaire, 1h 12, 2015
Svetlana Alexievitch, La supplication, Chronique du monde après l’apocalypse, éditions Lattès, 1997

Nous étions, dit un témoin, pris en étau « entre l’âge de pierre et l’âge de l’atome », entre « la pelle et l’atome ».

    

La chaîne Arte a diffusé le 20 septembre 2016 La supplication, un télé-film sur le drame de Tchernobyl tiré d’un livre poignant, transposition du roman de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015, écrit à partir des récits de victimes de la catastrophe.

Svetlana Alexievitch est partie, comme à son habitude, de témoignages pour mieux faire ressortir la puissance de la réalité par rapport à la fiction. Dans le télé film réalisé par Pol Cruchten, les acteurs n’interviennent qu’en voix-off , laissant à l’écran toute la force de l’image.

Un drame global, économique, écologique et humain qui s’est déroulé, rappelons-le, voilà plus de trente ans en avril 1986 dans le nord d’un pays qui deviendra l’Ukraine, classé niveau 7 donc comparable à l’autre drame nucléaire qui a eu lieu au Japon à Fukushima en 2011.

Il fallut alors dix-huit jours pour éteindre le cœur du réacteur en fusion, sacrifiant les pompiers envoyés en catastrophe sur le site ainsi qu’au moins deux cent quarante mille ouvriers "liquidateurs" réquisitionnés dans tout le pays.

        

Les témoignages suscitent un terrible émoi, tels cette femme qui pleure à jamais un mari emporté par un cancer, ce garçonnet leucémique qui se demande s'il va s’en sortir et dans quelles conditions, cet ancien responsable de la filière nucléaire soviétique hanté par la responsabilité de sa hiérarchie qu’il avait mise en garde… Tels aussi ceux-là qui ont perdu leur petite fille, leur père ou ont un enfant gravement handicapé... 

Autant de témoignages recueillis dix ans après la catastrophe, dont s’est servie la biélorusse Svetlana Alexievitch pour développer une extraordinaire réflexion sur la souffrance et la dignité, les fondements de la résistance humaines.

   
Tchernobyl après le drame

Le cinéaste a aussi filmé dans la lumière de l’été, les paysages de la campagne qui entoure Tchernobyl, pour faire résonances, trancher sur la centrale désaffectée, confortée par le commentaire des voix-off qui montre encore avec plus de force le terrible silence qui règne depuis lors dans la centrale nucléaire.

Ce champ de ruine figé dans le temps contraste avec la paix et la sérénité qui se dégagent des images soutenues par un texte sans concessions et dégage une profonde évocation de la tragédie qui s’est déroulée dans cette région, mais aussi de ses implications, que ce soit notre rapport à la nature profondément modifié par l’essor des techniques de pointe, le rapport  à la nature humaine, les peurs ancestrales qui l’ont accompagné sur les chemins de l’Histoire comme cet optimisme fondamental qui l’a toujours soutenu comme une croyance au-delà de toute rationalité.

         

Svetlana Alexievitch, La supplication (quelques extraits)

De la crainte à l’horreur
« Nous craignions la bombe, le champignon nucléaire et les choses ont pris une autre tournure… Nous savons comment brûle une maison incendiée par une allumette ou un obus… Mais ce que nous voyions ne ressemblait à rien… Les rumeurs disaient que c’était le feu céleste. Et même pas un feu, mais une lumière. Une lueur. Un rayonnement. Le bleu céleste. Et pas de fumée. Avant cela, les scientifiques étaient des dieux. Maintenant, ce sont des anges déchus. Des démons ! La nature humaine demeure toujours un mystère pour eux. Je suis russe. Je suis né près de Briansk. Chez nous, les vieux sont assis sur le seuil de leurs maisons de guingois qui ne vont pas tarder à tomber en ruine, mais ils philosophent, réorganisent le monde. Ainsi faisions-nous, près du réacteur… »


De l’ordinaire au drame
« Ce jour-là, notre voisin, installé sur le balcon, observait l’incendie avec des jumelles. Et nous… Garçons et filles, nous allions et revenions à bicyclette entre notre immeuble et la centrale.(…) Au-dessus de la centrale, la fumée n’était ni noire ni jaune. Elle était bleue. Mais personne ne nous disait rien. »
Comme la guerre…
« Maintenant ils agonisent… Et s’ils n’avaient pas fait cela ? Ce sont des héros et non pas des victimes de cette guerre qui semble ne pas avoir lieu. On parle de catastrophe, mais c’était une guerre. »
Christian Broussas – Supplication - 19/10/2016• © cjb © • >